1777-04-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Le petit avertissement que j'ai reçu de la nature, d'aller trouver Horace au nom de qui vous m'écrivites une si jolie Lettre, m'a empêché, mon très cher confrère, de répondre plutôt à celle que j'ai reçue de vous il y a trois semaines.
Soiez persuadé qu'il n'y a personne dans la Littérature d'assez vil et d'assez insensé pour vous attribuer jamais ces anecdotes sur feu Zoïle Fréron. Il n'y a qu'un colporteur qui puisse les avoir écrites, et ce n'est pas à l'auteur de Warwick et de Mélanie qu'on pour a jamais attribuer de pareilles misères. Thiriot disait que c'étaient des vérités très connues, mais tirées de la fange.

Soiez encor bien persuadé que je voulais m'amuser à Ferney, mais que je n'étais pas assez insensé pour faire passer mes amusements jusqu'à Paris. Ce n'est pas à mon âge qu'on a la témérité de faire de pareilles tentatives. Phriné et Ninon n'allaient pas au bal à quatre vingt trois ans. Hélas! j'ai même renoncé à voir les opera comiques qu'on joue sur le théâtre de la colonie de Ferney. La surdité s'est jointe à mes autres privations.

Si vous avez quelque chose à mander à Jean Racine dont vous avez le style pressez vous, je vous prie. Je vous fais mes adieux d'avance, et je vous souhaitte du fond de mon cœur tous les avantages et tous les succès qui sont dus à vos grands talents, à vôtre goût épuré, à vôtre amour du vrai, et à vôtre courage.