A Paris ce 27 janvier 1777
Je me rappelle, mon cher ami, un trait de Mr de Tugni, belle soeur de Mr Duchatel, qui peut trouver ici son application.
Elle aimoit passionément son mari très indiférent pour elle. Dans son absence elle demandoit assiduement les jours de poste, Aije des lettres de Mr de Tugni? — Vous n'en avés point. — Je vais donc lui répondre. C'est le cas où je me trouve. Impatienté de ne point recevoir de vos nouvelles je prends le parti de vous écrire. Je vous représente d'abord que vous ne m'avés rien dit sur une certaine pièce de vers que Mr de Celis, gouverneur du petit fils de Mr Daumont et son bibliotéquaire, vous a envoyé. De plus que l'abbé Pezana est en peine de sçavoir si vous avés reçeu la dernière lettre qu'il vous a écrit. Enfin je vous annonce une estampe faite d'après le portrait dont le Kain m'a fait le sacrifice. Elle est partie ou partira incessament par le courrier. C'est un graveur nommé Henriques qui l'a gravé, elle est parfaitement ressemblante au portrait et ce portrait à ce qu'on m'a assuré est celui àprésent qui vous ressemble le plus. Au moment que je vous écris j'ai l'un et l'autre sous les yeux, jugés de ma satisfaction d'avoir ce qui peut seul adoucir le chagrin de ne point vous voir. Mr de Thibouville m'a communiqué votre dernière lettre. Je joins mes instances aux siennes pour que vous nous fassiés parvenir toutes vos drôleries. L'écolière de le Kain s'est bien relevée dans Idamé, il y a eu des extraits rendus à donner les plus grandes espérances et le maitre (je suis souvent forcé de me répéter à cet égard) a été supérieur à lui même de façon, que la pièce a produit le plus grand effet. Zuma proscrite à la cour a eu du succès à Paris. Je vous avoue que je suis de l'avis de la cour, quoiqu'assurément je ne sois pas courtisan. Cette pièce est un roman très mal fait, écrit d'un stile fort inégal et rarement dramatique. Il faut que vous lisiés le morceau de la Harpe sur le malheureux imaginaire qui nous a causé un malheur si réel. C'est selon moi un chef d'oeuvre de goût et de raison. Adieu mon très cher ami, écrivés moi et aimés moi si vous pouvés, autant que je vous aime.
Pourquoi avés vous abandonné [?vertement] la correspondance de me Dudaifan?