24e Xbre 1776
Monsieur De Crassy, Madame, quitte les ruines du païs de Gex pour avoir le bonheur de vous faire sa cour, et moi je reste écrasé sous ces ruines.
Il vous racontera toutes nos opressions et tous nos malheurs. Vous croiez bien que dans ce labirinthe de misères je n'ai eu ni le tems, ni la liberté d'esprit nécessaire pour finir ce que j'avais commencé sous vos yeux, et ce que je n'aurais pu heureusement achever qu'en étant éclairé par vos conseils, et soutenu par vôtre présence. Ces petites entreprises là demandent tout ce que je n'ai point, gaité, santé, jeunesse, facilité de travail, conseils, tête uniquement occupée de son objet. J'ai été très malheureux cette année en vers, en prose, et en chifre, et qui pis est cette année est ma quatre vingt troisième. Toutes les disgrâces ont fondu sur moi du jour que vous avez quitté vôtre ville naissante de Ferney. Le comble de nôtre malheur est d'être abandonnés par St Géran. On dit qu'il ne reviendra point voir le joli théâtre qu'il avait bâti, qu'il s'est ruiné à Bâle, et qu'il est entièrement dégoûté de la Suisse. Nous voions tomber à la fois nos manufactures et nôtre Comédie, mais si vous protègez toujours ce petit coin de terre, et surtout si vous l'honorez encor de vôtre présence, vous nous rendrez la vie.
Je suis dans une ignorance absolue de tout ce qui se passe. Je vois seulement de très loin et très confusément qu'on nous fait beaucoup de mal, et je ne me console qu'en me flattant que vous nous voulez toujours du bien. Je me mets à vos pieds, Madame, du fond de ma caverne dont je découvre sept lieues de neiges. Mon esprit est à la glace, mais mon coeur est rempli pour vous du plus tendre respect.
V…