Monsieur,
Excusés la Liberté que prend un jeune homme qui désire s'instruire dans une Carrière que Vous avez parcouruë avec tant de gloire; et daignez ne pas lui refuser des Conseils, que Votre longue expérience Vous mêt dans le cas de donner aux meilleurs Ecrivains de notre siècle; à qui pourrais-je en effet m'adresser mieux, qu'à Celui que son goût et son Erudition, rend aujourd'hui L'arbitre du Parnasse, et le père de la Littérature française, et qui après avoir essuyé toutes les traverses d'une Longue et pénible carrière, heureusement arrivé au port, jouit à présent en paix, et en Vrai philosophe, d'une gloire que L'envie voudrait envain Vous disputer, et que L'univers entier ne saurait vous refuser, quoique Le Commerce que Vous avez avec des gens dont l'esprit et les talens, vous rendent les lettres agréables, vous fassent trouver peu de plaisir à Lire les miennes?
Cependant c'est avec une grande Confiance que je Vous écris. Ayez quelque indulgence pour un page plein de bonne volonté quoique encore fort jeune. Ressouvenez-vous de ce que vous avez souvent dit, de ce que j'ai lû moimême dans la préface d'Alzire, paroles qui prouvent assez votre amour pour le progrès de sciences, et bien faites pour inspirer de la confiance à un novice. Les jeunes gens qui Voudront s'appliquer aux lettres, trouveront en moi un ami; plusieurs y ont trouvé un père; ces paroles, Monsieur, ne peuvent que faire honneur à Votre Caractère et m'annoncent que ma demande ne sera point refusée; jusqu'ici je n'ai eu personne, à qui Confier de mauvais vers que j'ai faits, et qui peut me les Corriger, et me donner des conseils sur un art aussi difficile, dans lequel je désire ardemment m'instruire.
La Carrière du théâtre qui est celle que vous avez illustré; est aussi, malgré ses difficultés, celle qui pique davantage mon ambition; je vois avec fermeté tous les chagrins qu'on a à éprouver dans cette carrière; et je suis passionné par le spectacle. C'est avec impatience que j'attens vos précieux Conseils, c'est avec la plus grande docilité que je les écouterai, et je tâcherai de les mettre à profit; heureux de m'attirer dans la suite quelques applaudissemens, si après vos immortels ouvrages il en reste encore pour de très médiocres Ecrits; et si le public après des Zayres et des Méropes peut encor donner des suffrages à d'autres pièces. Il est vrai que si l'on n'en recevoit que de cette espèce on pourroit dès aujourd'hui fermer le théâtre.
Je suis, Monsieur, en attendant vos leçons avec tout le dévouement et la vénération possible
Votre très humble et très obéissant serviteur (je n'ose dire encore élève)
La Villeon page de la reine
à Fontainebleau ce 22 8bre 1776
Mon adresse est à Monsieur de la Villeon page de la reine En Cour.