1776-06-19, de Denis Diderot à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

On croit que vous m'aimez et que vous m'estimez; on croit qu'un petit mot de ma main est une très bonne recommandation auprès de vous.
Je ne détrompe personne, et ne refuse ce petit mot qu'à Ceux que Je ne crois pas digne de vous entretenir. Monsieur De Limon n'est pas De ceux cy. Je ne vous dirai pas qu'il est Intendant De la maison de monsieur; qu'est ce que cela vous fait? mais bien qu'il Jouit de toute La confiance et de toute La faveur Du prince et qu'il La mérite. J'ajouterai qu'il est Le bienfaiteur et Le protecteur De mes enfans, et qu'eux et moi nous lui avons toute sorte d'obligations. L'acueil que vous ferez à Monsieur de Limon acquitera une partie de la dette que nous avons contractée avec Lui. Vous ne tarderez pas à vous apercevoir que c'est un homme de beaucoup de mérite. C'est une véritable perte pour Les Lettres qu'il a cultivées avec succès, que Les circonstances L'aient détourné d'une carrière Dans La quelle Il se seroit illustré. Il prétend que passer à Fernex, sans vous avoir vu, ce seroit passer à Delphes, sans entrer Dans Le temple d'Apollon; et il a raison. Bonjour, Monsieur et très honoré patriarche. J'ai fait un terrible voyage depuis que vous n'avez entendu parler de moi. Combien J'ai causé de vous avec une grande souveraine et quel plaisir elle avoit à m'entendre!

Je suis toujours avec La même admiration et Le même Respect

Votre très humble et très obéissant serviteur

Diderot