Potsdam ce 17 février 1770
Le Pauvre Lorain dont vous vous souvenés, trouve une grande diférence des copies qu'il fait àprésent et de celles qu'il faisoit autrefois.
Aprésent, il écrit pour le tems, il y a dixhuit ans que c'étoit pour l'imortalité. Il n'en est pas moins flaté de l'aprobation que vous donnés à son ouvrage qui roule sur des idées dont on trouve le germe dans l'esprit d'Helvetius et dans les essais de D'Alembert. L'un écrit avec une métaphysique trop subtile et l'autre n'indique simplement que ces idées. Le pauvre Lorain sent qu'il vous a importuné par l'envoi des rêveries de son maître, il sait que vous donner ses ouvrages c'est envoyer des Corneilles à Athènes, mais par une suite de l'élévation où se trouve le patriarche de Fernex, il doit s'attendre à ces sortes d'homages et importunités. Le Patriarche demande des vers en welche d'un auteur Tudesque, il en aura, mais il se repentira de les avoir demandé. Ces vers sont adressés à une dame qu'il doit connaître, faits à l'occasion d'un propos de table où cette dame se plaignoit de la dificulté de trouver un juste milieu entre le trop et le trop peu. Ce sont de ces vers de société dont Paris fournissoit autrefois d'amples receuils et qui commencent à devenir plus rares. Le pauvre Lorain est bien embarassé à découvrir le génie dont vous lui parlés, il l'a cherché partout, ce n'est pas la raison des roses et les lauriers ont tous été transplantés en Russie de sorte qu'il le cherche en vain. Ce Lorain supose que la brillante imagination qui à Fernex triomphe du tems et des infirmités de l'âge, a tracé de fantaisie le tableau de ce génie, et qu'il en est comme du jardin des Hesperides et de la fontaine de jouvence que la grave antiquité a si longtems recherchés inutilement. Si cependant il étoit question d'un bon vieux radoteur de philosophe qui habite une vigne de ces environs il a chargé le Lorain de vous assurer qu'il regrete fort le patriarche de Fernex, qu'il voudrait qu'il fût possible encore de le receuillir chés lui et de l'associer à ses études, qu'au moins ce patriarche peut être assuré que personne n'aprécie mieux son mérite et n'aime plus que lui son beau génie.
Federic