1766-07-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Vous partagerez donc vos faveurs, Monsieur, entre mes deux nièces cette année.
Vous allez dans le païs du chevalier De Labarre; il n'y a point de Tragédie plus terrible que celle dont il a été le héros; il est mort avec un courage étonnant, et avec un sang froid et une raison qu'on ne devait pas attendre des extravagances de son âge. Il était petit fils d'un Lieutenant général fort estimé. Tout le monde le plaint. Il avait commis les mêmes imprudences que Polyeucte, à cela près que Polyeucte avait raison dans le fond, et qu'il était animé de la grâce aulieu que son imitateur ne l'était que par la folie. Les larmes coulent volontiers pour la jeunesse qui a fait des fautes, et qu'elle aurait réparées dans l'âge mûr.

Nous vous souhaittons une vie heureuse dans ce cahos de malheur et de peines qu'on appelle le monde, dont vous serez un jour détrompé. Soiez au dessus des bons et des mauvais succès, mais soiez sensible à l'amitié, elle seule adoucit les maux de la vie. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.