à Paris 15 octobre [1776]
Il faut que Bertrand rassure un peu Raton, qui ne sera pas absolument brûlé, mais seulement pendu par la clémence des juges.
On a levé apparemment la défense de rien dire contre le Théâtre anglois & contre Shakespear, car je vis il y a quelques jours la lettre exposée en vente aux Thuilleries. Mais il n'est pas moins vrai que l'imbécille calomnie a persuadé à Versailles que cette lettre étoit un ouvrage impie, et qu'en conséquence on nous a refusé l'augmentation des prix que nous demandions, pour avoir une occasion (qui ne se présentera pas sitôt) de remercier et de louer le ministère présent, qui apparemment ne s'en soucie guère. Grand bien lui fasse! En attendant je vais pousser, comme je pourrai, le temps avec l'épaule, jusqu'au Printemps, où j'irai revoir votre ancien disciple, qui m'a écrit deux lettres charmantes sur la perte que j'ai faite, et qui mérite bien que j'aille l'en remercier. Je suis à la veille de faire une autre perte qui m'est bien sensible, celle de made Geoffrin, et d'autant plus sensible, que made de la Ferté Imbault sa fille, qui joue la dévotion, mais qui ne joue pas la sottise, a écarté du lit de sa mère tout ce qu'on appelle Philosophes, & qui n'ont pas plus d'envie que de besoin de parler de religion à sa mère en l'état où elle est. On peut dire de la philosophie ce que Despreaux disait de dieu, en entendant déraisonner deux sots athées: Vous avez là de sots ennemis. Mais ces ennemis sont aussi méchans que sots, et aussi dangereux par leurs calomnies que méprisables par leur imbécillité. Que le ciel nous assiste, & les confonde! Mais le ciel n'en fera rien; & je ferai comme l'abbé Terrasson fesoit, à ce qu'il disoit, de la providence, je m'en passerai, et je vous exhorte, mon cher Raton, à vous en passer aussi, & surtout à ne pas nous priver de votre seconde lettre, dussions nous être condamnés à ne plus couronner de mauvaise prose et de mauvais vers. Adieu, je baise bien tendrement vos pattes, et je les exhorte à ne se laisser ni brûler ni engourdir.