22 septemb. [1776] à Ferney
La maladie de ma nièce et la mienne, monsieur, jointes à mes quatre-vingt-trois ans, ont retardé la réponse que je devais à vos bontés.
Je ne me flatte pas que du Bosphore au pont des Thuileries, vous daignassiez vous souvenir de moi. Je fus votre voisin, il y a quelques années; ce n'était pas chez des Turcs que vous étiez alors. Vous avez, depuis ce temps, fait la guerre à mon autocratrice pour des sultans qui ne la valaient pas, et vous avez donné des leçons à des disciples qui ne passent pas pour être capables d'en profiter.
Vous avez à Ferney un autre disciple plus docile, et plus digne de vos instructions: c'est mon neveu l'abbé Mignot, qui vous remercie de toutes les obligations qu'il vous a. Je vous ai celle d'un beau plan de la cacade russe du Pruth. J'ai vu plusieurs officiers de mon autocratrice qui ont combattu contre vos musulmans plus heureusement que ceux de Pierre 1; mais je n'en ai point vu qui pussent m'instruire comme vous.
Je suis très fâché que Ferney ne se soit pas trouvé sur la route de Constantinople à Versailles, c'eût été une grande consolation pour moi de vous entendre. C'est un bonheur que je ne puis espérer actuellement à mon âge.
Vous serez, monsieur, au nombre fort petit, des hommes que je regretterai en mourant de n'avoir pu voir.
J'ai l'honneur d'être &a.