24e juillet 1776, à Ferney
Pardonnez, Monsieur, si quatre vingt deux ans, et prèsque autant de maladies, ne m'ont pas permis de vous remercier plutôt du très agréable présent que Mr Pankouke m'a fait de vôtre part.
Je suis bien étonné qu'étant si jeune vous aiez eu le tems et la patience de parcourir le monde entier, et de mettre en ordre toutes ses fantaisies, et tous ses ridicules. Rien n'est plus amusant que ce tableau mouvant. Il a dû vous en coûter beaucoup de peine pour nous donner tant de plaisir. Cet immense tableau du monde moral vaut bien les prodigieux recueils du monde phisique, et est bien plus intéressant: car on ne vit point avec les animaux grands ou petits, dont les Plines anciens et modernes ont tant parlé; mais on est continuellement exposé à vivre et à traitter avec les hommes de tous les païs. Personne ne sent plus cette vérité que moi qui me trouve placé depuis vingt-cinq ans dans un coin de terre entre quatre dominations différentes, sur le grand chemin de tous les voiageurs de L'Europe.
Agréez, Monsieur, mes remerciements, et la respectueuse estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire