23e Mars 1772 à Ferney
Le vieux malade de Ferney, Monsieur, vous renouvelle ses remerciements et sa protestation bien sincère qu’il n’a jamais lu, ni ne lira le libelle diffamatoire de La Beaumelle et de l’abbé Sabatier.
Il y a plus de quatre cent libelles de cette espèce; la vie est courte, et le peu de tems qui me reste doit être mieux emploié. Il est juste, Monsieur, que vous qui voulez bien être mon avocat, vous lisiez les pièces du procez; mais pour moi qui ai prèsque perdu la vue, il faut que je remette entièrement ma cause entre vos mains et que je m’en raporte à votre éloquence et à votre sagesse.
A l’égard du procez que poursuit Mr Christin et qui est assurément plus considérable, il espère faire rendre justice à ses clients par le parlement de Bezançon auquel l’affaire a été renvoiée.
Je n’ai point donné ma médaille à Grasset; il y a environ dixhuit ans que je n’ai vu cet homme, je ne lui ai jamais écrit, j’ai tiré d’un état bien triste son frère qui est chargé d’une nombreuse famille à Geneve. Ces deux frères m’ont pu imprimer mes sottises.
Vous me demandez les pièces de vers qu’on a faites à mon honneur et gloire. Je conserve peu de ces pièces fugitives. Si j’en ai quelques unes elles sont confondues dans des tas immenses de papiers que ma santé délâbrée et mes fluxions sur les yeux ne me permettent guères de débrouiller. Je tâcherai de vous satisfaire; mais vous savez que les louanges des amis persuadent moins le public que les satires des ennemis. J’aurais beau étaler cent certificats comme l’apoticaire Arnoud et le sr Le Lievre, celà ne servirait de rien.
Puisque vous êtes l’enchanteur qui daigne écrire la vie du Donquichote des Alpes qui s’est battu si longtems contre des moulins à vent, il faut vous fournir les pièces nécessaires en original. Mr Durey de Morsan, frère de Madame la première présidente, a l’extrême bonté de se donner cette peine. C’est un homme de Lettres fort instruit. Si on lui reproche quelques fautes de jeunesse il les répare aujourd’hui par la conduite la plus sage. Je le possède à Ferney depuis quelques tems. Il faut qu’il soit bien bon, car la besogne qu’il a entreprise n’est point amusante et sera fort longue, mais il parait que vous avez encor plus de bonté que lui. Agréez, Mr, tous les sentiments que vous doit la reconnaissance de Vôtre très h: o: sr
Le vieux malade de Ferney