16e fév: 1759, par Genêve à Tournay
Je ne peux écrire de ma main, ainsi, Monsieur, pardonnez.
Le libelle diffamatoire a été saisi à Genêve où Grasset en avoit envoïé quelques Exemplaires; il y a ordre de le saisir à Paris, où il en fait passer une balle à un Libraire nommé Tillard; ce Libelle insolent rédigé par un prêtre fanatique a pour bût principal de renouveller l'opprobre de la famille Saurin composée de onze personnes, qui crient miséricorde au conseil de Berne; il n'est pas seulement farci d'injures grossières, il est souillé d'accusations aussi absurdes que criminelles de Déïsme et d'athéïsme, et ne peut faire qu'un très mauvais éffet; le profond mépris qu'il inspire, et à tous les devoirs de l'honneur et de la société, en tâchant de favoriser le misérable auteur de cette rapsodie.
Je vous supplie de dire à Monsieur Sinner que je lui serai très obligé de m'envoïer son ouvrage. Grasset a été décrêté de prise de Corps à Genève, pour avoir volé les cousins Germains de Madame Constant; mais il peut malgré celà avoir imprimé un bon Livre à Lausanne, et Monsieur Sinner peut mériter beaucoup de Louanges, quoi que son Libraire mérite la Corde. Les Jésuïtes méritent pis s'ils ont ourdi la conspiration de Portugal, et s'ils ont donné une belle absolution aux [assass]ins du Roy; mais quand on aura brûlé la moitié de moins du monde contre moi un Libelle punissable; ce serait bien là le cas où les battus paieraient l'amande. Je me flatte que nôtre ami, monsieur de Brenles, vous secondera de tout son pouvoir. Vous sentez, Monsieur, que la plus grande obligation que je puisse vous avoir, est de me procurer le moyen de venir jouïr des douceurs de vôtre amitié. Je voudrais bien vous envoïer ce que vous me demandez, mais le Roy de Prusse m'a déffendu expressément de le laisser sortir de mes mains; et on dit qu'il a deux cent mille hommes.
A tout jamais v. t. h. et ob. sr
V. gentilh. ord. du roy