10e juin 1776
C'est pour le coup, mon cher ami, que la philosophie vous a été bien nécessaire.
Je n'ai apris que tard, et par d'autres que par vous, la perte que vous avez faitte. Voilà toute vôtre vie changée. Il sera bien difficile que vous vous accoutumiez à une telle privation. On dit que le logement que vous habitez peut être déjà est triste. Je crains pour vôtre santé. Le courage sert à combattre, mais il ne sert pas toujours à rendre heureux.
Je ne vous parle point dans votre perte particulière de la perte générale que nous avons faitte d'un ministre digne de vous aimer, et qui n'était pas assez connu chez les Welches de Paris. Ce sont à la fois deux grands malheurs auxquels j'espère que vous résisterez.
Je n'ai point de nouvelles de Mr De Condorcet. On le dit nonseulement affligé, mais en colère. Lorsque vous aurez arrangé toutes vos affaires, et fini vôtre déménagement, lorsque vous aurez un moment de loisir, mandez moi, je vous prie, s'il y a quelque chose à craindre pour cette malheureuse philosophie qui est toujours menacée. Ah que nous avons à souffrir de la nature, de la fortune, des méchants et des sots! Je quitterai bientôt ce malheureux monde, et ce sera avec le regret de n'avoir pu vivre avec vous. Ménagez vôtre éxistence le plus longtemps que vous pourez. Vous êtes aimé et considéré, c'est la plus grande des ressources. Il est vrai [qu'elle] ne tient pas lieu d'une amie intime; mais elle es[t] audessus de tout le reste.
Adieu mon vrai philosophe, souvenez vous quelquefois d'un pauvre vieillard mourant qui vous est aussi tendrement dévoué qu'aucun de vos amis de Paris.
V.