1776-03-31, de Charles de Brosses, baron de Montfalcon à Hyacinthe Pierrette de Brosses, marquise de Fargès.

Ma fille, je n'ai le temps de vous dire qu'un mot: j'ai la tête cassée de l'ennui que me donnent les brailleries et les criailleries du pays de Gex.
J'en reçois lettres sur lettres, de gens qui crient miséricorde sur les entreprises et les tyrannies de Voltaire, qui veut tout gouverner, conduire à sa tête, et se rendre maître de l'administration, dont il n'est pas membre, entreprenant de chasser ceux qui sont au fait, et de mettre là des gens qui lui sont vendus et qui agiront à sa dévotion.

Je viens d'être obligé d'en écrire à m. de Malesherbes, sur la sollicitation de tout le pays, qui demande au nom de dieu qu'on les tire de l'esclavage(ce sont leurs termes). Tout ce tripot m'ennuie fort. Il m'a pourtant bien fallu prier m. de Malesherbes d'attendre mon arrivée pour conférer ensemble.

Comme cet homme là fait toujours sonner ses relations avec m. de Fargès dont il veut paraître disposer, je vous envoie seulement une des lettres que j'ai reçues, et je choisis celle de m. le comte de la Forest, que vous connaissez pour un homme d'esprit, sage et raisonnable. Faites la lire tout de suite à votre beau-frère. Les syndics me marquent qu'ils n'y peuvent plus tenir et que, dès que les choses sont ainsi, ils vont quitter l'administration. Mais c'est justement ce qu'il demande; tout serait, ma foi! bientôt au diable avec un tel premier ministre.

Qu'on écrive à cet homme là de manière à le contenir en repos, et attendons la semaine prochaine à parler d'affaires, quand je serai auprès de vous, où nous raisonnerons avec plus de sang-froid qu'il n'y en a dans ce pays de Gex, depuis que l'encens des louanges et de la faveur a achevé de tourner cette vieille tête égarée.

Mon dieu! qu'il parle de vers et de Fréron, mais qu'il laisse parler d'affaires aux gens qui les entendent. Je suis fort ennuyé d'être le bureau d'adresse de toutes ces sottises.