De Londres ce 11^e Mars 1776

Monsieur,

Je suis très sensible à la réponse obligeante dont vous m'honorés.
J'ay eu Le bonheur d'apprendre la Langue Françoise étant très jeune: Zaïre et Charles douze m'en ont fait sentir L'énergie, & m'ont poussé à lire avec application vos meilleurs auteurs. Le Siècle de Louis 14 a eu un effet plus général: nos historiens y ont puysé la manière utile et philosophique dont Ils écrivent à présent.

Si vos colons se conforment aux lois qu'un fondateur tel que vous doit leur avoir prescrit, Ils sont dignes d'envie, & méritent le nom de philosophe bien mieux que notre nation, à qui vous faites trop d'honneur en leur donnant ce titre. Tout ce qui se passe icy.

“Montre que c'est à tort que sages on nous nomme.” Intra muros peccatur et extra. La plus part de ceux qui possèdent les grands emplois songent plus à s'y maintenir qu'à en remplir dignement les fonctions; et ceux qui voudroient occuper leur place, n'ont nulle délicatesse sur le choix des moyens. Plus les affaires se brouillent, plus près ils se croyent du seul but où Ils visent. Cepandant Ils arborent L'étandart du bien public et de la Liberté. L'Amérique en est un triste exemple. Elle ne doit les malheurs qui l'accablent qu'à cette fronde: Il en Coûtera bien du sang, et Le pays sera détruit, mais la fronde n'en sent rien, & on crie plus fort.

Cepandant Les spectacles, la dissipation, les veilles Bacchanales, et la Frivolité règnent sur tous. Voylà sans exaggération l'état de notre philosophie & patriotisme.

Puissiés vous Monsieur voir de meilleurs fruits de la colonie de Ferney: et en faisant le bonheur des uns par vos institutions, et corrigeant les autres par vos écrits, Jouir longtemps de la récompence la plus digne de L'humanité!

J'ay L'honneur d'être avec la plus parfaite considération

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Sam Pechell juge de la chancellerie de Londres