à Ferney 4e février 1776
J'écris, Madame, nonseulement à la sœur de Mr Pankouke, mais à Mr son beaufrère.
Je suis obligé de vous dire à tout deux, qu'un libraire de Genêve nommé Bardin, vient d'annoncer publiquement, une prétendue édition de mes œuvres, en quarante volumes, avec des planches et des encadrures etca. L'annonce est faitte comme si j'avais moimême gouverné cette édition.
Je ne connais point ce Bardin. On m'assure que c'est un prête nom. Je me suis fait représenter cette édition qu'il vend dans sa boutique. J'ai été étonné d'y trouver une quantité prodigieuse d'anciens ouvrages contre la religion chrétienne, que l'on met insolemment sur mon compte, et je me trouve dans la nécessité de demander justice d'un pareil attentat.
Cette annonce du nommé Bardin se trouve dans le journal Enciclopédique de Bouillon, tome 1er , seconde partie de la présente année, page 357. Le même article se trouve aussi dans plusieurs autres journaux qui courent l'Europe.
J'aprends, par comble de douleur, que le même Libraire qui a l'impudence de débiter sous mon nom cette bibliothèque de Libelles infâmes, répand par tout qu'il en a vendu des milliers d'éxemplaires à Mr Pankouke. Si celà est, Mr Pankouke, trompé par mon nom, n'a pas connu ce qu'il achetait, et s'est rendu très innocemment coupable d'une prévarication dont les suittes seraient terribles à Paris. Il n'a certainement d'autre parti à prendre que de renvoier les éxemplaires qu'il peut avoir, de contremander ceux qu'on peut lui envoier encor, et de rompre tout commerce avec les scélérats qui l'ont trompé. Il y va de sa fortune, et de plus que de sa fortune.
Je vous en avertis, Madame, comme vôtre ami et le sien, et comme principalement intéressé moi même, à la supression totale de cette édition infâme.
Si Mr Pankouke a fait des billets au profit du perfide qui a si indignement abusé de sa bonne foi, ces billets ne sont pas plus paiables que ceux de Mr De Richelieu à Made de st Vincent. Il ne faut pas que mr Pankouke soit ruiné parce qu'il s'est trouvé un fripon à Genêve.
J'irais moi même faire tout saisir chez ce coquin de Bardin, si je n'étais pas retenu au Lit à l'âge de quatre vingt deux ans, par des douleurs d'une maladie qui me mêne au tombeau.
Montrez ma Lettre à Mr vôtre frère, et gardez la, je vous en prie.
Jesuis avec le plus tendre attachement, et avec le plus juste désespoir, Madame, Vôtre….