1er février 1776
Mon cher ami, vous savez, sans doute, que Bardin, Libraire de Genêve, a envoié à tous les journaux, un avertissement, concernant une prétendue édition de mes ouvrages, en quarante volumes, imprimés dit-il, sur de beau papier fabriqué exprès, avec une encadrure légère à tous les volumes, etca.
Il m'est tombé par hazard entre les mains, quelques volumes de cette infâme édition de Bardin, dans lesquels j'ai trouvé des pièces abominables contre les mœurs, contre la religion, et contre des personnes respectables.
Je ne vous parle point des autres pièces qui me sont attribuées, et qui ne sont pas de moi. Elles sont en très grand nombre. Je serai dans la triste nécessité, nonseulement de désavouer cette édition, mais d'en demander la supression dans toutes les villes où elle poura avoir été envoiée.
Je ne connais point Bardin, je ne l'ai jamais vu, je n'ai depuis plus de quinze ans aucune correspondance avec Genêve. Vous êtes plus à portée que personne de confirmer cette vérité, vous qui avez été si longtems mon voisin, et qui m'avez fait le plaisir d'habiter mon château de Tournay.
J'aprends avec douleur qu'une grande partie de cette édition de Bardin se trouve à Paris chez un homme de vôtre connaissance, et qui n'a aucun intérêt de me faire de la peine, et à qui je serais très fâché d'en faire. Mais vous sentez à quoi m'obligent mon honneur, mon intérêt et celui de ma famille.
Vous devez avoir du crédit dans la ville de Genêve. Vôtre famille y est honorée. Je vous prie très instamment de vouloir bien venir chez moi, quand le tems le permettra, pour prendre avec vôtre ancien ami, toutes les mesures qui pouront prévenir, ou étouffer un scandale si dangereux. J'irais chez vous si je pouvais sortir. Je recommande cette affaire à vôtre amitié et à vôtre probité.
Je prie Madame vôtre femme de me mander si elle a reçu les papiers de Mr Lefort que je lui ai renvoiés, concernant la demande de Mr Lefort à L'Impératrice de Russie.
Je vous embrasse avec une tristesse extrême.
V.