4e juin 1777
Mon cher confrère, j'ai reçu prèsque à la fois, deux Lettres de vous, et la religieuse.
Cette très attendrissante religieuse était bien, et elle est beaucoup mieux. Je regarde cet ouvrage comme un des meilleurs que nous aions dans nôtre langue.
Pour vôtre journal il est le seul que je puisse lire, et nous en avons cinquante. J'avais cédé aux instances de l'ami Pankouke qui voulait absolument que je combattisse quelquefois sous vos étendarts, et qui m'assurait que vous le trouveriez fort bon, mais aussi il m'avait promis le plus inviolable secret; il ne me l'a point gardé; il m'a décelé très mal à propos, et m'a beaucoup plus exposé qu'il ne pense.
Je vous prie instamment, mon cher confrère, de lui dire bien résolument qu'il ne mette jamais rien sous mon nom. Je ne suis pas en état de faire la guerre. Ce n'est pas que je manque de courage, ni de bonnes raisons pour la faire; mais il faut de la santé, même pour la guerre de plume. J'ai besoin de repos après mon accident, que vous appellerez comme il vous plaira, mais dont les suittes sont bien désagréables.
L'indiscrétion de Pankouke avec son V. me fait une peine mortelle. Il accoutume le public à croire que nonseulement je me porte bien, mais que j'abuse de ma santé jusqu'à écrire des Lettres un peu impudentes. On m'accuse, dit-on, d'avoir écrit à Messieurs les juges du Chatelet une Philippique un peu forte sur le procez ridicule qu'ils ont fait à ce pauvre De Lille, et sur le jugement atroce qu'ils ont rendu. Vous devez bien savoir comme je pense sur le livre et sur la sentence, mais assurément je serais plus fanatique que ces messieurs, et cent fois plus répréhensible qu'eux, si je leur avais écrit sur cette affaire. Je ne connais point cette prétendue Lettre, et je veux croire qu'elle n'éxiste pas.
Quand vous aurez un moment de loisir dites moi, je vous prie, quel est le polisson que le libraire de la poste du soir a choisi pour son bel esprit.
Je suis en peine de la santé de Mr d'Alembert. Pour la mienne elle est bien déplorable; mais il y a environ quatre vingt trois ans que je suis accoutumé à souffrir.
Je vous embrasse de tout mon cœur. Mon Dieu que vôtre religieuse est belle!
V.