1777-04-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

L'accident qui m'est arrivé, mon cher ami, ne m'a pas tellement affaibli que je n'aie été en état de faire le voiage du Méxique et du Pérou.
Je l'ai fait dans vôtre beau vaisseau, et je ne saurais assez vous en témoigner ma reconnaissance. Made Denis qui a partagé mon plaisir, se joint à moi pour vous remercier.

Je n'entends point dire que la Sorbonne ait pris le parti du révérend père inquisiteur qui lut en latin cette bulle du Pape à L'inca Atabalipa, et qui fit pendre et brûler sur le champ nôtre Inca pour n'avoir pas entendu la langue latine. Mais j'aprends que Messieurs du Chatelet soutiennent bien mieux nôtre sainte religion que messieurs les sorboniqueurs. On me mande qu'ils ont condamné au bannissement perpétuel ce pauvre De Lile de Salles, auteur de six volumes sur la nature dans lesquels il a mis tout ce qu'il a jamais lu. Cette abomination est révoltante; elle est du quatorzième siècle. On prétend même que le parlement en est indigné, et qu'il va réformer la sentence du Chatelet.

Auriez vous lu cette philosophie de la nature? Je vois que toute philosophie court de grands risques. C'est un méchant métier que celui de vouloir instruire les hommes. Ceux qui les trompent et qui les volent sont plus adroits que nous. Ils sont mieux récompensés, et ni vous ni moi ne voudrions pourtant être à leur place.

Adieu, mon cher confrère, mon cher ami. Je vous avoue que je suis fâché de mourir sans vous avoir revu.