1775-08-13, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

C'est à vous qu'il faut attribuer tout le bien qu'on aurait voulu faire à Morival.
Le Protecteur de Calas et de Sirven méritoit de réussir de même en faveur du premier. Vous avés eu le rare avantage de réformer de vôtre retraite, les sentences cruelles des juges de vôtre Patrie, et de faire rougir ceux qui placés près du thrône auraient dû vous prévenir. Pour moi, je me borne dans mon Paÿs à empêcher que le Puissant n'oprime le faible et d'adoucir les sentences qui, quelquefois, me paraissent trop rigoureuses. Cela fait une partie de mes occupations, lorsque je parcours les Provinces. Tout le monde vient à moi, j'examine et par moi même et par d'autres toutes les plaintes et je me rens utile à des personnes dont j'ignorais l'existence avant d'avoir reçu leurs mémoires. Cette révision rend les Juges attentifs et prévient les procédés trop durs et trop rigoureux. Je félicite votre Nation du bon choix que Louis XVI a fait de ses ministres. Les Peuples, a dit un ancien, ne seront heureux que lorsque les Sages seront Rois. Vos Ministres, s'ils ne sont pas Rois tout à fait, en possèdent l'équivalent en autorité. Vôtre Roi a les meilleures Intentions, il veut le bien, rien n'est à craindre pour lui que ces Pestes des Cours qui tâcheront de la Corrompre et de le pervertir avec le tems. Il est bien Jeune, il ne connait point les Ruses et les rafinemens dont les Courtisans se serviront pour le faire tourner à leur gré, afin de satisfaire leur Intérest, leur haine ou leur ambition. Il a été dans son Enfance à l'Ecole du fanatisme et de l'Imbécilité. Cela doit faire apréhender qu'il manquera de résolution pour examiner par lui-même ce qu'on lui a apris à adorer stupidement. Vous avés prêché la Tolérance. Après Bayle, vous êtes sans contredit un des Sages qui aye fait le plus de bien à l'humanité, mais si vous avés éclairé tout le monde, ceux que leur Intérest attache à la Superstition ont réjetté vos lumières, et ceux-là dominent encore sur les Peuples. Pour moi en fidèle disciple du Patriarche de Ferney, Je suis àprésent en négotiation avec mille famille Mahométanes auxqu'elles je procure des établissemens et des mosquées dans la Prusse occidentale. Nous aurons des ablutions légales, et nous entendrons chanter Hilli Halla sans nous scandaliser; c'était la seule secte qui manquât dans ce Pays.

Le vieux Pöllnitz est mort comme il a vécû, c'est à dire en friponant encore la veille de son décès. Personne ne le regrete que ses Créanciers. Pour nôtre Respectable et bon milord il se porte à merveille. Son âme Honête est gaye et Contente. Je me flate que nous le Conserverons encor longtems. Sa douce Philosophie ne l'occupe que du bien. Tous les Anglais qui passent ici, vont chés lui en Pélérinage. Il loge ici vis à vis de Sans-Souci aimé et estimé de tout le monde. Voilà une heureuse vieillesse. Tout ce que vous dites de nos évèques teutons n'est que trop vrai. Ce sont des Porcs engraissés des dixmes de Sion. Mais vous savez aussi que dans le st Empire Romain, l'ancien usage, la Bulle d'or et telles autres antiques sotises font respecter les abus Etablis. On les voit, on lève les Epaules et les choses continuent leur train. Si l'on veut diminuer le fanatisme Il ne faut pas toucher aux Evêques, mais si l'on parvient à diminuer les moines, surtout les ordres mendians, le Peuple se refroidira, et celui-là moins superstitieux permettra aux Puissances de ranger les Evèques selon qu'il conviendra au bien de leurs Etats. C'est la seule marche à suivre, miner sourdement, et sans bruit l'édifice de la déraison, c'est l'obliger à s'écrouler de lui-même. Le Pape vû la situation où il se trouve, est obligé de donner des brefs et des bulles comme ses chers fils exigent de lui. Ce pouvoir fondé sur le Crédit idéal de la foi perd à mesure que celle-ci diminue. S'il se trouve encor à la tête des Nations quelques ministres au dessus des Préjugés vulgaires. Le st Père, fera banqueroute. Dèjà ses lettres de change, et ses billets au porteur sont à demi décrédités. Sans doute que la Postérité jouira de l'avantage de pouvoir penser librement, qu'elle ne verra point comme nous des horreurs telles qu'en a produit Toulouse et en dernier lieu Amiens. Les Morivals de cet heureux siècle n'auront point à craindre les barbaries éxercées sur les Morivals d'aujourd'hui. Vous n'avés qu'à me l'envoyer directement ici. Je le Considère comme une Victime échapée au glaive du sacrificateur, ou pour mieux dire du Boureau. Je pars pour la Silesie. Je ne pourrai être de retour que le 4 ou le 5 du mois prochain, ainsi il aura tout le temps d'arranger son voyage. Dans quelque lieu que je trouve, mes voeux seront les mêmes pour le Patriarche de Ferney et faute de pouvoir l'entendre chemin faisant, je m'entretiendrai avec ses ouvrages. Valé.

Federic

Vous voiagerez avec moi sans vous en aperssevoir, et vous me ferai plaisir sans qu'il vous en Coûte, et je vous bénirai en chemin come de Coutume.