1775-12-19, de Pierre Michel Hennin à Charles Gravier, comte de Vergennes.

Monseigneur,

…Le jour où les Etats du Pays de Gex ont accepté le plan proposé par Mgr le Contrôleur Général pour l'affranchissement de ce canton sera je crois plus célèbre dans les annales de la Littérature que dans celles du Royaume.
Cependant, Monseigneur, c'est un bel article de gazette que je ne crois pas indigne d'être mis sous vos yeux.

M. de Voltaire qui avoit lieu de croire que quelques personnes s'opposeroient au projet utile auquel il a travaillé avec tant de zêle résolut d'aller aux Etats. En arrivant on le fit asseoir et tout le monde se rangea au tour de lui; il leur dit Mrs nous avons bien des grâces à demander, mais je crois qu'avant tout nous devons accepter le bien qui nous est offert aujourd'huy et qui a été sollicité depuis si longtems. Il lut ensuite une lettre de M. Turgot et une de M. Trudaine. Le député du clergé remercia alors de la manière la plus honête M. de Voltaire de ses soins pour la Province, déclara que son ordre étoit unanime à accepter les conditions portées dans le projet d'arrêt du Conseil; les autres ordres firent la même chose, on dressa le protocole, les députés le signèrent, on pria M. de Voltaire d'aider les Etats de ses conseils dans la répartition de l'impôt et de continuer à s'occupper des avantages du pays dont il faisoit le bonheur. Il sortit et dès que le peuple rassemblé à Gex sçut que le projet avoit été accepté il y eut des cris de vive le Roy vive M. de Voltaire, on orna ses chevaux de Lauriers et de fleurs, on en remplit son Carosse. Il fut escorté par sa bourgeoisie de Ferney à cheval; dans tous les Villages par où il passa même acclamations même profusion de Lauriés. Pour l'homme le plus insensible au bonheur de ses semblables et à sa gloire personnelle c'eut été certainement une journée bien brillante à plus fort raison pour M. de Voltaire qu'on peut dire qui réunit à l'excès ces deux sentimens.

Ce qui se fait aujourd'huy pour le pays de Gex, Monseigneur, n'est pas sans importance pour le Gouvernement. Si dans six ans ce petit pays est d'un tiers plus riche et plus peuplé (et il y a à parier que la chose arrivera) le sistême financier est démontré pernicieux par le fait, comme il l'est déjà dans la théorie.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant Serviteur

Hennin