Le 13 décembre 1775
Le courrier du Bas-Rhin écrit de Clèves souvent des sottises & rarement de bonnes choses; on s'est borné jusqu'ici à contenir sa plume, quelquefois trop hardie sur le sujet des souverains.
Comme je ne lis point ses feuilles, j'ignore parfaitement leur contenu. S'il s'est avisé de faire l'apologie des juges & du procés de ce malheureux la Barre, il donnera au public une mauvaise opinion de son caractère moral, ou de son jugement; il était permis chez les Romains de plaider les causes d'accusés dont le crime était douteux, mais les avocats abandonnaient celles des scélérats. Hortensius se désista de la défense de Verrès convaincu de méchantes actions, & Cicéron nous aprend qu'il abandonna par la même raison un esclave d'Oppianicus pour lequel il avait commencé à plaider. Je ne puis citer de plus illustres exemples au gazetier de Clèves que ceux de deux consuls romains; pour les égaler il faudra qu'il se résolve à chanter la palinodie, & j'espère que les ministres auront assez de crédit sur lui pour qu'il prenne généreusement le parti de se rétracter. Morival est à Berlin, où il étudie la géométrie & la fortification chez un habile professeur; il pourra fournir le mémoire aux ministres, qui s'en serviront pour condamner les mensonges du gazetier.
Mais vous me demandez des nouvelles de ma santé & vous ne m'en donnez pas de la vôtre. Cela n'est pas bien. Je n'ai que la goutte, qu'on chasse par le régime & la patience; mais malheureusement vous avez été atteint d'un mal plus dangereux. Vous croyez qu'on ne prend qu'un intérêt tiède à votre santé; cela vous trompe. Il y a quelques bons esprits qui craignent avec moi que le trône du Parnasse ne devienne vacant. J'ai reçu une lettre de Grimm, qui vous a vu: cette lettre ne me rassure pas assez; il faut que le vieux patriarche de Ferney m'écrive qu'il se trouve soulagé, & qu'il me tranquilise lui même. Croyez que vous me devez cette consolation, comme à celui de vos admirateurs qui vous rend le plus de justice. Vale.