Postdam, ce 19 juin 1774
Aucun cheval ne m'a jeté en bas; je ne suis point tombé.
Je n'ai point eu l'aventure de votre saint Paul, qui était un détestable cavalier; mais j'ai eu la fièvre avec un fort érysipèle. Cependant je n'ai rien vu d'extraordinaire dans mes rêveries; point de troisième ciel. J'ai encore moins entendu de ces paroles ineffables que la langue des hommes ne saurait rendre. Mon aventure toute commune s'est réduite à un érysipèle, comme tout le monde peut l'avoir.
Le gazetier de Leyde, qui ne m'honore pas de sa faveur, a brodé ce conte à plaisir. Il a l'imagination poétique; il ne tiendrait qu'à lui de faire un poème épique.
Pour le bon Louis XV, il est allé en poste chez le père éternel. J'en ai été fâché; c'était un honnête homme, qui n'avait d'autre défaut que celui d'être roi. Son successeur débute avec beaucoup de sagesse, et fait espérer aux Welches un gouvernement heureux. Je voudrais qu'il eût traité la Du Barri plus doucement par respect pour son bisaïeul.
Si la monacaille influe sur ce jeune homme, les petits-maîtres seront en rosaire, et les initiées de Vénus couvertes d'agnus dei. Il faudra que quelque évêque s'intéresse pour Morival, et qu'un picpus plaide sa cause. On prétend qu'un orage se forme, et menace les philosophes. J'attends tranquillement dans mon petit coin les nouveautés et les événéments que ce nouveau régne va produire, disposé d'admirer tout ce qui sera admirable, et de faire mes réflexions sur ce qui ne le sera pas, ne m'intéressant qu'au sort des philosophes, et principalement à celui du patriarche de Ferney, dont le philosophe de Sans-Souci a été, est, et sera le sincère admirateur. Vale
Federic