1713-12-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine Olympe Du Noyer.

Je ne sais si je dois vous appeler monsieur ou mademoiselle; si vous êtes adorable en cornettes, ma foi vous êtes un aimable cavalier, & notre portier qui n'est point amoureux de vous, vous a trouvé un très joli garçon.
La première fois que vous viendrez, il vous recevra à merveille. Vous aviez pourtant la mine aussi terrible qu'aimable, & je crains que vous n'ayez tiré l'épée dans la rue, afin qu'il ne vous manquât plus rien d'un jeune homme: après tout, tout jeune homme que vous êtes, vous êtes sage comme une fille.

Enfin, je vous ai vu, charmant objet que j'aime,
En cavalier déguisé dans ce jour,
J'ai crû voir Vénus elle même
Sous la figure de l'Amour.
L'Amour & vous, vous êtes du même age,
Et sa mère a moins de beauté;
Mais, malgré ce double avantage,
J'ai reconnu bientôt la vérité.
O . . . . vous êtes trop sage
Pour être une divinité.

Il est certain qu'il n'est point de dieu qui ne dût vous prendre pour modèle, & il n'en est point qu'on doive imiter, ce sont des ivrognes, des jaloux & des débauchés. On me dira peut-être,

Avec quelle irrévérence
Parle des dieux ce maraud.

Mais c'est assez parler des dieux, venons aux hommes. Lorsque je suis en train de badiner, j'apprends par le Févre qu'on vous a soupçonnée hier. C'est à coup sûr la fille qui vous annonça, qui est la cause de ce soupçon qu'on a ici;ledit le Févre vous instruira de tout, c'est un garçon d'esprit & qui m'est fort affectionné, il s'est tiré très bien de l'interrogatoire de son E. On compte de nous surprendre ce soir, mais ce que l'amour garde est bien gardé, je sauterai par les fenêtres, & je viendrai sur la brune chez**, si je le puis; le Févre viendra chercher mes habits sur les quatre heures, attendez moi sur les cinq en bas, & si je ne viens pas, c'est que je ne le pourrai absolument point; ne nous attendrissons point en vain, ce n'est plus par des lettres que nous devons témoigner notre amour, c'est en nous rendant service: je pars vendredi avec monsieur de M**; que je vienne vous voir, ou que je n'y vienne point, envoyez moi toujours ce soir vos lettres par le Févre qui viendra les quérir; gardez vous de madame votre mère, gardez un secret inviolable, attendez patiemment les réponses de Paris, soyez toujours prête pour partir, quelque chose qui arrive je vous verrai avant mon départ: tout ira bien, pourvu que vous vouliez venir en France & quitter une mère . . . . . . . . dans les bras d'un père. Comme on avait ordonné à le Févre de rendre toutes mes lettres à son E. j'en ai écrit une fausse que j'ai fait remettre entre ses mains, elle ne contient que des louanges pour vous & pour lui qui ne sont points affectées, le Févre vous rendra comte de tout. Adieu, mon cher cœur, aimez moi toujours, & ne croyez pas que je ne hasarderai pas ma vie pour vous.

A***.