24 Janvr 1763
Mon cher frère, on ne peut empêcher, à la vérité, que Jean Calas ne soit roué, mais on peut rendre les juges exécrables, et c'est ce que je leur souhaite.
Je me suis avisé de mettre par écrit toutes les raisons qui pourraient justifier ces juges, je me suis distillé la tête pour trouver de quoi les excuser, et je n'ai trouvé que de quoi les décimer.
Gardez vous bien d'imputer aux laïques un petit ouvrage sur la tolérance qui va bientôt paraître. Il est dit on d'un bon prêtre; il y a des endroits qui font frémir, et d'autres qui font pouffer de rire; car, dieu merci, l'intolérance est aussi absurde qu'horrible.
Mon cher frère m'enverra donc la petite feuille qu'on attribue à m. Le Brun. Mais est il possible que Le Brun qui m'adressait de si belles odes pour m'engager à prendre melle Corneille et m'envoie souvent de si jolis vers, ne soit qu'un petit perfide?
Nous marions melle Corneille à un gentilhomme du voisinage, officier de dragons, sage, doux, brave, d'une jolie figure, aimant le service du roi et sa femme, possédant dix mille livres de rente, à peu près, à la porte de Ferney. Je les loge tous deux. Nous sommes tous heureux. Je finis en patriarche. Je voudrais à présent marier melles Calas à deux conseillers au parlement de Toulouse.
On dit la comédie de m. Dupui fort jolie: cela est heureux. Le nom de notre futur est Dupuy. Frère Thiriot doit être fort aise de la fortune de melle Corneille. Elle la mérite. Savez vous bien que cette enfant a nourri longtemps son père et sa mère du travail de ses petites mains? La voilà récompensée. Sa vie est un roman.
Je vous embrasse tendrement, mon cher frère. Ecrasez l'infâme.