le 18 mars 1754
Je vous remercie du livre que vous m'avés envoyé.
Il est beau de voir un homme s'occuper à des ouvrages purement utiles, lorsqu'il peut en faire de génie. Je n'ai eu aucune connoissance de l'édition qu'on a faite de l'abrégé de l'histoire universelle que lorsqu'elle a paru. J'ai encore le manuscrit que vous m'avés donné sur cette matière. Vous vous êtes trompé en croyant qu'on me l'avoit pris. Je n'ai perdu que le manuscrit du siècle de Louis 14. Vous devés être tranquile sur tout ce que vous m'avés confié. Je n'ai jamais cru que vous fussiés l'auteur de ces libelles qui ont paru, je suis trop familiarisé avec votre style et votre façon de penser pour pouvoir m'y méprendre, et en fussiés vous l'auteur, ce que je ne crois point, je vous le pardonnerois de bon cœur. Vous devés vous rappeller que lorsque vous vintes prendre congé de moi à Postdam je vous assurai que je voulois bien oublier tout ce qui s'étoit passé pourvu que vous me donnassiés votre parole que vous ne feriés plus rien contre Maupertuis. Si vous m'aviés tenu ce que vous me promites alors, je vous aurois vu revenir avec plaisir, vous auriés passé vos jours tranquillement auprès de moi et en cessant de vous inquiéter vous même vous auriés été heureux. Mais votre séjour à Leipsic retraça dans ma mémoire les traits que j'avois bien voulu en éffaçer. Je trouvai mauvais que malgré la parole que vous m'en aviés donnée vous ne cessassiés point d'écrire contre Maupertuis et que non content de cela, malgré la protection que j'accorde et que je dois accorder à mon académie vous voulussiés la couvrir du même ridicule que vous vous éfforciés de jetter depuis si long tems sur le président. Voilà les griefs que j'ai contre vous, car quant à ma personne je n'en ai aucun. Je désaprouverai toujours tout ce que vous ferés contre Maupertuis mais je n'en reconnoitrai pas moins votre mérite littéraire, j'admirerai vos talens comme je les ai toujours admirés. Vous honnorés trop l'humanité par votre génie pour que je ne m'intérésse pas à votre sort. Je souhaiterois que vous débarrassiés votre esprit de ces disputes, qui n'auroient jamais dû l'occuper et que rendu à vous même vous fassiés comme auparavant les délices de la société où vous vous trouverés. Sur ce je prie dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
à Postdam ce 16 mars 1754 a