6^e x^bre 1775

Je vous remercie bien sensiblement, mon cher ami, de tout ce que vous m'écrivez du 27^e 9^bre.
Il n'y a qu'une seule chose qui me fâche, c'est que vous n'aiez pas trouvé vôtre fille parfaittement rétablie. M^r Le Controlleur général nous envoie enfin son arrêt du conseil pour nôtre franchise. Nous la paions trente mille francs par an aux fermiers généraux. Je ne dispute point sur le prix, parce qu'il ne faut jamais disputer avec son maître, et parce qu'à mon avis on n'achête jamais sa liberté trop cher.

Il me semble qu'on croit à Paris que M^r Turgot fait sur ma petite province experimentum in anima vilis, et qu'il s'essaie pour de plus grands objets.

Je voudrais bien que vous fussiez le raporteur du procez qu'on intente à M^r le Marquis de La Tour du Pin, et dans lequel sa sœur est intéressée pour son centième.

Je ne sais pas pourquoi toutes les gazettes étrangères ont dit que le roi viendrait tenir chez vous un lit de justice. Il me semble qu'on ne vient guères se coucher sur ces lits là que quand on a une indigestion d'édits bursaux dont il faut se défaire, et qu'on veut faire passer. Vous n'êtes point dans ce cas. Dieu mercy, il n'est plus question de prendre l'argent des peuples avec un bon plaisir, et la grande raison c'est que les peuples n'en ont plus, dumoins les peuples des campagnes, car il y en a, et il y en aura toujours dans Paris.

M^r De s^t Germain a commencé son ministère par renvoier à leur troupe des officiers de nôtre païs que vous avez vus à Ferney. Ils s'étaient battus, à ce qu'on disait, et à ce qu'il ne faut pas croire, avec un autre officier, pour un procez qu'ils avaient au conseil. Celà n'était bon que du tems de la chevalerie, où toutes les causes se jugeaient l'épée à la main, et où l'on était innocent ou coupable, selon qu'on savait pousser une botte. Les jugements des hommes sont souvent fort mauvais, mais ils valent encor mieux que le jugement de Dieu.

M^r De S^t Germain semble aimer la paix, tout brave qu'il est, et tout Jesuite qu'il a été. M: Turgot, très savant licencié de Sorbonne, aime la paix aussi. Ainsi je me flatte, messieurs les parisiens, que vous coulerez des jours très doux et très heureux. J'achêve les miens dans mon lit. Je ne mange prèsque plus pour faire taire ceux qui m'accusent d'avoir eu une indigestion. Je suis bien faible; mais je vous embrasse de toutes mes forces vous et Madame D'Hornoy, à qui je compte avoir écrit en vous écrivant.