[c. December 1771]
Le procez criminel concernant la Lerouge et les Perra, partage toujours toute la ville et tout le païs de Lyon en deux factions très animées.
On attend du nouveau parlement de Paris, un jugement qui éclaire tous les esprits et qui les calme.
L'intérêt que j'ai été obligé de prendre à cette cruelle affaire sera mon excuse auprès de Monsieur le raporteur à qui je prends la liberté d'exposer mes réflexions.
Je crois apercevoir que cet évênement horrible avec toutes ses circonstances, est fondé sur un fait dont il n'a pas encor été question dans tout le procez.
Il me semble très probable que la fille Lerouge allant chercher son chat chez sa voisine la Forobert à neuf heures du soir dans une allée obscure, qui conduisait à une fosse de latrines que l'on curait alors, tomba dans cette fosse, et fut étouffée sur le champ.
C'était le tems où les vidangeurs avaient quitté leur ouvrage qu'ils reprirent deux heures après. Ils avaient vraissemblablement oublié de fermer cette fosse, ils y trouvent le cadavre d'une fille, ils craignent d'être repris de justice, aiant contrevenu à la loi de police qui leur ordonne de fermer l'entrée de la fosse toutes les fois qu'ils quittent le travail.
Ils prennent le parti d'aller jetter le cadavre dans le Rhône, ce qui n'est que trop commun dans la ville de Lyon.
Je ne vois que cette seule manière d'expliquer le fait avec vraisemblance. Toutes les accusations de viol et d'assassinate, me paraissent le comble de l'absurdité et de la contradiction.
Je suplie Monsieur le raporteur de vouloir bien peser ma conjecture, et de la comparer avec touttes les pièces qu'il a sous les yeux.
Je crois que les chirurgiens de Lyon qui ont fait le raport sur le cadavre trouvé dans le Rhône, se sont trompés, et qu'en voulant soutenir leur erreur ils ont exposé les accusés à la haine publique et au danger d'un arrêt de mort.
Je ne doute pas que Monsieur le raporteur n'ait lu le mémoire sur la cause de la mort des noyés par le médecin Duchemin de L'Etang. Ce mémoire est très contraire à celui des chirurgiens de Lyon.
Les étonnantes dépositions d'un enfant de cinq ans et demi contre sa mère, me semblent également horribles et frivoles.
Je sais d'un avocat qui eut la permission d'interroger cet enfant qu'il lui fit toujours dire oui à toutes les questions qu'il lui fesait. N'as-tu pas vu violer debout la petite Claudine Le Rouge? Oui. Ne lui avait-on pas lié les jambes l'une sur l'autre avec une grosse corde pour la mieux violer? Oui. Ne disait elle pas certaines paroles d'amitié quand on la violait? Oui.
Toutes les dépositions de l'enfant sont de nulle valeur.
Touttes les autres dépositions justifient les accusés.
L'huissier Constant qui a conduit cette affaire épouvantable, a été condamné à être pendu en 1769, un an après la mort de Claudine le Rouge.
Je soumets toutes mes idées aux lumières de Mr le raporteur, et je le suplie d'agréer ma confiance et mon respect.