1775-10-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Simon Favart.

Vous me pardonnez, Monsieur, de vous remercier si tard.
Un radoteur de quatre vingt deux ans, qui des vingt quatre heures de la journée en passe vingt trois à souffrir, n'est pas le maître des moments qu'il voudrait donner à ses devoirs et à ses plaisirs.

Vous avez fait un ouvrage charmant, plein de grâces et de délicatesse, sur un canevas, dont la toile était un peu grossière. Vous embellissez tout ce que vous touchez. C'est vous qui le premier formâtes un spectacle régulier et ingénieux d'un théâtre, qui avant vous, n'était pas fait pour la bonne compagnie. Il est devenu, grâce à vos soins, le charme de tous les honnêtes gens. Je vous avoue que je suis fort fâché de mourir sans avoir joui des plaisirs que vous donnez à tous ceux qui sont dignes d'en avoir.

Agréez, Monsieur, tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être vôtre très humble et très obéïssant serviteur

Le vieux malade de Ferney V.