15e avril 1776, à Ferney
Madame Lobreau, qui a depuis vingtquatre ans le privilège de vôtre spectacle, et dont le bail n'expire, dit elle, que dans deux années, me mande qu'un arrêt du conseil lui ôte ce que le gouverneur de la province lui a donné.
Une compagnie nouvelle a offert, dit elle, trente mille francs par an à la ville, et a été subrogée à sa place. Elle a fait envain le voiage de Lyon à Versailles, et a offert les mêmes trente mille Livres. Elle a présénté des placets à toute la famille roiale. Mais pour tout fruit de ses représentations et de ses peines, elle dit qu'en revenant à Lyon, elle a trouvé la maréchaussée qui démeublait sa maison, et qui s'emparait de son théâtre.
Enfin, Monsieur, elle me croit assez puissant pour lui faire rendre son privilège, parce que j'ai été (je ne sçais comment) assez heureux pour contribuer à délivrer mon petit trou des alguazils des fermes générales.
Cette idée que Made Lobreau a de mon extrême crédit, me parait un peu romanesque. Je ne sçais même comment lui répondre avant d'être instruit des raisons de monsr Le controlleur général. Il n'est pas vraisemblable que la Maréchaussée se soit emparée de ses éffets. Si la compagnie admise à sa place n'était pas sa créancière, et si la ville qui gagne trente mille livres de rente à ce marché n'avait pas pris fait et cause, il serait bien étonnant que le conseil eût dépouillé une partie sans l'entendre.
Permettez moi donc, Monsieur, de recourir à vous pour être instruit de cette affaire singulière. Vous me pardonnerez de m'intéresser encor un peu au théâtre, quoique je sois près de quitter pour jamais le théâtre du monde. Il ne m'apartient pas d'oser solliciter. M: Le Controlleur général sans savoir précisément si la grâce que je demanderais serait juste.
Je crains, Monsieur, de vous importuner autant que je craindrais de fatiguer le ministère. Je vous en demande pardon; mais les bontés que vous avez toujours eues pour moi me rassurent. Made Denis joint ses prières aux miennes.
Agréez, Monsieur, les sentiments respectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Le vieux malade de Ferney V.