1775-06-03, de François Louis Antoine de Bourbon, comte de Busset à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur de Luchet m'écrivit que vous désiriez, monsieur, avoir une relation certaine du singulier sommeil de la fille de St Marcel.
J'ai été dans la joie de mon cœur de pouvoir contribuer à satisfaire un de vos désirs. J'ai pris les précautions les plus exactes; vous pouvez être assuré de la vérité de cette relation, autant qu'on peut l'être de quelque fait extraordinaire. J'ai été peu long dans mon opération, parce que j'ai voulu me servir de moyens dont je ne pus me défier. J'ai rejeté toutes les informations qui ne m'ont pas paru authentiques.

Je vous envoie, monsieur, le rapport du chirurgien qui soigne cette dormeuse, auquel on peut donner croyance entière.

Maintenant je remercie monsieur de Luchet de m'avoir procuré l'avantage de vous témoigner toute ma reconnaissance par le zèle que j'ai mis, dans la commission dont il m'avait chargé pour vous. Sans que vous vous en doutiés, je suis un des hommes qui vous aient le plus d'obligation. Si j'ai eu dans ma vie deux grains de bonheur, je vous en dois la moitié, excepté quelques instants d'un plaisir qu'on ne peut comparer avec aucun autre; les plus agréables que j'ai passés, l'ont été avec vous. Vous m'avez instruit, vous m'avez éclairé; vous avez chassé de mon cœur la tristesse et le chagrin; en me consolant, vous m'avez rendu la joie; monsieur, je ne vois point d'obligation au dessus de celle là. Je vous assure que je suis très aise d'être chrétien; vous m'auriez fait faire quelque injure à la divinité, je vous aurais placé dans ma chapelle à côté d'Esculape. Celui là ne guérissait que les corps, et vous, monsieur, vous rendez la santé, à l'âme; jugez si je suis avec respect et vénération, monsieur, votre &c.