Lundy 24e avril 1775
Je n'aurai que ce soir, mon cher philosophe citoien, cet ouvrage aussi agréable que solide, dont vous m'avez confié le manuscrit.
En attendant, en voicy un autre qu'on met sous vôtre protection. J'envoie le paquet tout ouvert à Monsieur De Vaines vôtre ami, qui est si digne de l'être. Vous feriez une bien belle action de donner vous même ce mémoire à Elie de Beaumont, et d'en raisonner avec lui.
Il est bien triste qu'on ait déjà pris le parti de demander des Lettres de grâce à M: le garde des sceaux. Ce mot de grâce, comme je le mande à D'Hornoy, déchire l'oreille et le coeur. Nous rejetterions ces Lettres avec horreur si on nous les présentait. Nous n'en avons jamais voulu, et nous sommes cruellement affligés qu'on se soit obstiné à les demander malgré nous. D'Etallonde ne veut qu'un mot des avocats, La sentence d'Abbeville portée par des juges incompétents, est illégale.
Il faudra bien qu'Elie de Beaumont en convienne. Il ne pourait, sans prévarication, nous refuser une chose si juste.
Si contre toute attente, et contre toute raison, les avocats ne voulaient pas vous donner aujourd'hui le même délibéré que huit autres avocats donnèrent en 1766 après l'assassinat du chevalier de La Barre, alors, on s'adresserait au Roi lui même à son sacre, et à l'Europe entière dans un mémoire beaucoup plus fort et beaucoup plus court.
D'Etallonde, protègé par le Roi son maître, n'a besoin de personne en France. Il n'a d'autre chose à faire, à mon avis, qu'à manifester l'infâmie de ses juges, en attendant qu'il puisse un jour ouvrir la tranchée devant Abbeville.
Vôtre indignation est égale à la mienne. Parlez, je vous en prie, fortement à Beaumont, faittes le rougir, forcez le à servir la raison et l'innocence. Que ne puis-je moi même venir lui parler avec vous! Voilà une occasion où Raton doit griller ses pattes.
V.
Je vous suplie de donner ce petit billet à mr de Beaumont, non pas à l'archevêque mais à l'avocat, en lui donnant ce paquet de notre Prussien.