21e avril 1775, à Ferney
Je vous remercie très sincèrement, Monsieur, de l'éxcellent mémoire que vous m'avez envoié sur la liberté du commerce des grains, et même de tout autre commerce.
Ce petit ouvrage ne peut être que d'un philosophe citoien, ami du meilleur ministre qu'ait jamais eu la France. Il devrait être imprimé au Louvre par un ordre exprès du Roi; mais je vois bien qu'on respecte encor certains anciens préjugés, et certaines gens, qui à mon gré, ne sont guères respectables. Quoi qu'il en soit, j'envoie l'ouvrage à un imprimeur, qui vient d'achever la grande enciclopédie.
Je vous ai écrit un petit mot par un voiageur. Je vous ai exposé mon très juste chagrin de la méprise de Mr De Tressan. Vous sentez combien il serait dangereux dans le moment présent de m'imputer un ouvrage dans lequel le roi de Prusse est comparé à Vanini. Cet éxcez de ridicule pourait être très funeste dans les circonstances où vous savez que nous sommes.
Je ne suis guères moins fâché contre mon neveu qui, avec les meilleures intentions du monde, a toujours la rage des formes, en qualité de conseiller au parlement, et qui veut des lettres en chancellerie dont nous ne voulons point du tout, et que nôtre brave et très sage officier refuserait avec horreur si on les lui présentait.
Je profiterai incessamment des bontés et de la philosophie de Mr De Vaines. Je lui enverrai un mémoire pour mon neveu; il le lira, il vous le montrera, et si vous n'êtes pas tout deux saisis d'indignation, si les larmes ne vous viennent pas aux yeux, je serai bien étonné. J'en ai longtems versées sur cette éxécrable avanture. Elle est plus atroce que celle des Calas et celle des Sirven. J'en viendrai à bout, ou je mourrai dans ce combat.
Je vous embrasse, mon cher philosophe intrépide, avec tendresse et avec respect.
V.