2e 9bre 1770
Mon cher philosophe, j’aurais bien embrassé vôtre voiageur qui m’aportait une Lettre de vous, mais j’étais dans un accès violent des maux qui m’accablent sans relâche.
Un grand mal moral qui poura bien aller jusqu’au phisique, c’est la publication du Systême de la nature. Ce livre a rendu tous les philosophes éxécrables aux yeux du Roi et de tout la cour. Mr Seguier que j’ai vu n’a rien fait que par un ordre exprès du Roi. L’éditeur de ce fatal ouvrage a perdu la philosophie à jamais dans l’esprit de tous les magistrats et de tous les pères de famille qui sentent combien l’athéisme peut être dangereux pour la société.
J’ignore si les questions sur l’enciclopédie oseront paraître. Les esprits sont tellement irrités qu’on prendra pour athée quiconque n’aura pas de foi à ste Genevieve et à st Janvier. En tout cas, voilà deux feuilles d’épreuves que je soumets à vos lumières. L’ouvrage en général est fort médiocre, mais il y a des articles curieux.
Les progrès de l’Impératrice dont vous me parlez, augmentent tous les jours. Si son armée passe le Danube je crois l’Empire ottoman détruit, et l’Europe vengée.
Je vous embrasse de tout mon cœur mon cher ami, les malades ne peuvent écrire de longues lettres.
Cependant encor un mot. Je vous demande en grâce de me dire des nouvelles de la Le Rouge.