25 janvier 1775 à Ferney
Vous ne sauriez croire, madame, quel plaisir vous m'avez fait, en voulant bien m'envoyer le mémoire de m. Gerbier.
Je m'intéresse à sa gloire, et je ne vois pas comment on pourrait l'attaquer après la lecture d'un tel écrit. Il est sage et vigoureux; il ne court point après l'esprit, il ne court qu'après la vérité; il la saisit avec la vraie éloquence qui n'est pas celle des jeux de mots. J'ai été fort aise de ne point trouver là le verbiage éternel du barreau. La plupart des avocats parlent toujours comme l'intimé.
Je viens de recevoir, madame, une lettre de m. le mal de Richelieu; il n'est pas homme à verbiage. Il a la bonté de me promettre les petits payements que ma situation très embarrassante me forçait de lui demander. Je me trouvais tellement pressè, que j'avais osé vous importuner de mes misérables affaires. J'en suis bien honteux. Mais je me voyais noyé et je m'adressais à ste Genevieve. Je suis actuellement dans mon lit pendant que m. et made de Florian dînent chez votre ami m. Tronchin.
Made de Florian est plus aimable que jamais. Elle soutient son état avec esprit, avec dignité et avec grâces. Cabanis la dirige. Il est au fait des maladies des dames plus que personne. Elle s'est accoutumée à notre solitude philosophique et à notre vilain climat. Rien n'a paru la dégoûter: cela est d'un bien bon esprit. On voit par qui elle a été élevée. Elle a une sœur de quinze à seize ans dont je voudrais bien être le précepteur, mais elle n'en a pas besoin, et on n'élève par les filles quand on a quatre-vingt et un ans.
J'ai vu la comédie italienne du conclave. Il n'y a ni gaieté, ni esprit; mais c'est toujours beaucoup qu'on se moque du conclave à Rome.
Agréez toujours, madame, le tendre respect du vieux malade de Ferney.
V.