1760-08-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Stanislas I, king of Poland.

Sire,

Je n'ai jamais que des grâces à rendre à Vôtre majesté.
Je ne vous ai connu que par vos bienfaits, qui vous ont mérité vôtre beau titre. Vous instruisez le monde, vous l'embéllissez, vous le soulagez, vous donnez des préceptes et des éxemples; J'ai tâché de profiter de loin des uns et des autres, autant que j'ai pû. Il faut que chacun dans sa chaumière fasse, à proportion, autant de bien, que V: M: en fait dans ses Etats. Elle a bâti de belles Eglises roiales, j'édifie des Eglises de village; Diogêne remuait son tonneau quand les Athéniens construisaient des flottes; si vous soulagez mille malheureux, il faut que nous autres petits nous en soulagions dix; le devoir des princes et des particuliers est de faire chacun dans son état, tout le bien qu'il peut faire.

Le dernier livre de V: M: que le cher frère Menou m'a envoié de vôtre part, est un nouveau service que V: M: rend au genre humain. Si jamais il se trouve quelque athée dans le monde (ce que je ne crois pas), vôtre livre confondra l'horrible absurdité de cet homme. Les philosophes de ce siècle ont heureusement prévenu les soins de V: M:, elle bénit Dieu, sans doute, de ce que depuis Des Cartes et Neuton, il ne s'est pas trouvé un seul athée en Europe. V: M: réfute admirablement ceux qui croiaient autrefois que le hazard pouvait avoir contribué à la formation de ce monde: V: M: voit sans doute avec un plaisir extrême, qu'il n'y a aucun philosophe de nos jours qui ne regarde le hazard comme un mot vide de sens. Plus la phisique a fait de progrès, plus nous avons trouvé par tout la main du tout puissant.

Il n'y a point d'hommes plus pénétrés de respect pour la vérité, que les philosophes de nos jours; la philosophie ne s'en tient pas à une adoration stérile, elle influe sur les mœurs; il n'y a point en France de meilleurs citoyens que les philosophes, ils aiment l'état et le monarque, ils sont soumis aux loix, ils donnent l'exemple de l'attachement et de l'obéïssance; ils condamnent et ils couvrent d'oprobre, ces factions pédantesques et furieuses, également ennemies de l'autorité royale et du repos des sujets. Il n'est aucun d'eux qui ne contribuât avec joie de la moitié de son revenu au soutien du royaume. Continuez, sire, à les seconder de vôtre autorité et de vôtre Eloquence, continuez à faire voir au monde, que les hommes ne peuvent être heureux que quand les philosophes sont rois, et quand ils ont beaucoup de sujets philosophes; encouragez de vôtre voix puissante la voix de ces citoiens qui n'enseignent dans leurs écrits et dans leurs discours, que l'amour de Dieu, du monarque, et de l'Etat; confondez ces hommes insensés, livrés à la faction, qui commencent par accuser d'athéïsme quiconque n'est pas de leur avis sur des choses indifférentes.

Le docteur Lange, dit que tous les jésuites sont athées, parce qu'ils ne trouvent point la cour de Pekin Idolâtre. Le frère Hardouin, Jésuite, dit que les Pascals, les Arnaulds, les Nicoles, sont athées, parce qu'ils n'étaient pas molinistes; frère Berthier soupçonne d'athéisme l'auteur de l'histoire générale, parce que l'auteur de cette histoire ne convient pas que des Nestoriens conduits par des nüées bleües, soient venus du pays de Tacin dans le septième siècle, faire bâtir des Eglises Nestoriennes à la Chine. Frère Berthier devrait sçavoir que des nüées bleües ne conduisent personne à Pekin, et qu'il ne faut pas mêler des contes bleus à nos vérités sacrées. Un breton aiant fait, il y a quelques années, des recherches sur la ville de Paris, L'abbé Trublet et consors, l'ont accusé d'irréligion au sujet de la rüe Tireboudin, et de la Rüe Trousse Vache; et le breton a été obligé de faire assigner ses accusateurs au Châtelet de Paris.

Les Rois méprisent toutes ces petites querelles, ils font le bien général, pendant que leurs sujets animés les uns contre les autres font les maux particuliers. Un grand Roy tel que vous, sire, n'est ni janséniste, ni moliniste, il n'est d'aucune faction; il ne prend parti, ni pour, ni contre un Dictionaire; il rend la raison respectable, et toutes les factions ridicules; Il rend les Jésuites utiles en Lorraine quand ils sont chassez du Portugal; il donne douze mille Livres de rente, une belle maison, et une bonne cave à nôtre cher frère Menou, afin qu'il fasse du bien; il sçait que la vertu et la religion consistent dans les bonnes œuvres, et non pas dans les disputes; il se fait bénir, et les calomniateurs se font détester.

Je me souviendrai toujours, sire, avec la plus tendre et la plus respectueuse reconnaissance des jours heureux que j'ai passés dans vôtre palais; je me souviendrai que vous daigniez faire le charme de la société, comme vous faisiez la félicité de vos peuples, et que si c'était un bonheur de dépendre de vous, c'en était un plus grand de vous aprocher.

Je souhaitte à vôtre Majesté, que vôtre vie utile au monde, s'étende audelà des bornes ordinaires. Aureng-Zeb et Muley-Ismaël, ont vécu l'un et l'autre plus de cent cinq ans. Si Dieu accorde de si longs jours à des princes infidèles, que ne ferat’ -il point pour Stanislas le bienfaisant!

Je suis avec un profond respect.