11e Juillet 1760, au château de Tournay, païs de Gex par Genêve
En vous remerciant du discours royal et de vos quatre lignes.
Mettez moy je vous prie aux pieds du Roy ad multos annos.
Envoyez surtout baucoup d'exemplaires en Turquie ou chez les athées de la Chine, car en France je ne connois que des crétiens. Il est vray que parmi ces crétiens, on se mange le blanc des yeux pour la grâce efficace et versatile, pour Paquier Quenel, et Molina, pour des billets de confession. Priez le roy de Pologne d'écrire contre ces sottises qui sont le fléau de la société. Elles ne sont certainement bonnes ny pour ce monde cy ny pour l'autre.
Bertier est un fou et un opiniâtre qui parle à tort et à travers de ce qu'il n'entend point. Pour Le Rev. père colonel avouez qu'il vous a fait rire et moy aussi. Et vous qui parlez vous seriez le Rp colonel dans l'occasion: et je suis sûr que vous vous en tireriez très bien, et que vous auriez très bon air à la tête de deux mille hommes.
Je suis très fâché que vôtre palais de Nanci soit si loin de mes châtaux, car je serais fort aise de vous voir. Nous avons l'un et l'autre d'excellent vin de Bourgogne, nous le boirions au lieu de disputer.
Une dévote en colère disait à sa voisine, je te casserai la tête avec ma marmite. Qu'as tu dans ta marmite? dit l'autre. Un bon chapon répondit la dévote. Et bien mangeons le ensemble, dit la bonne femme. Voylà comme on en devrait user. Vous êtes tous de grands fous, molinistes, jansenistes, enciclopédistes. Il n'y a que mon cher Menou de sage, il est à son aise, bien logé, et boit de bon vin. J'en fais autant, mais étant plus libre que vous, je suis plus heureux. Il y a une tragédie anglaise qui commence par ces mots, mets de l'argent dans ta poche et mocque toy du reste. Celà n'est pas tragique, mais cela est fort sensé. Bonsoir, ce monde cy est une grande table, où les gens d'esprit font bonne chère. Les miettes sont pour les sots, et certainement vous êtes homme d'esprit. Je voudrais que vous m'aimassiez, car je vous aime.
V.