1768-09-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Chrysostome de Larcher, comte de La Touraille.

Je reconnais, Monsieur, la justesse de vôtre esprit, et la bonté de vôtre cœur, dans la Lettre dont vous m'honorez.
J'ai toujours pensé que les athées étaient de très mauvais raisoneurs, et que cette malheureuse philosophie n'est pas moins dangereuse qu'absurde. La pluspart des hommes, et encor plus des dames juge sans réfléchir, et parle sans penser. Une femme dirigée par un Janséniste croit que c'est être athée que de nier la grâce éfficace, comme les dévotes des jésuites accusaient d'athéisme ceux qui doutaient de la grâce versatile. Je suis persuadé qu'actuellement les dévotes de Rome regardent le Roi de France, le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, et le Duc De Parme comme de francs athées. Le monde est rempli d'automates qui ne méritent pas qu'on leur parle. Le nombre des sages sera toujours extrêmement petit. Vous êtes nonseulement, Monsieur, de ce petit nombre des élus, mais encor du plus petit nombre des bienfesants. Pour moi à qui mon âge et mes maladies ne laissent que peu de tems à vivre je serai jusqu'au dernier moment de ma vie au nombre non moins petit des reconnaissants.