par Paris 11 may 1761
Je suppose mon cher philosophe que vous jouissez àprésent des douceurs de la retraitte à la campagne.
Plût à dieu que vous y goûtassiez les douceurs plus nécessaires d'une entière indépendance, et que vous pussiez vous livrer à ce noble amour de la vérité sans craindre ses indignes ennemis. Elle est donc plus persécutée que jamais. Voylà un pauvre bavard rayé du tableau des bavards, et la consultation de melle Clairon incendiée. Une pauvre fille demande à être crétienne, et on ne veut pas qu'elle le soit. Eh messieurs les inquisiteurs accordez vous donc. Vous condamnez ceux que vous soupçonnez de n'être pas crétiens, vous brûlez les requêtes des filles qui veulent communier. On ne sait plus comment faire avec vous. Les jansénistes, les convulsionaires gouvernent donc Paris! C'est bien pis que le règne des jésuittes. Il y avait des accomodements avec le ciel du temps qu'ils avaient du crédit, mais les jansénistes sont impitoiables. Esce que la proposition honnête et modeste d'étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourait amener les choses à quelque conciliation?
Je suis bien consolé de voir Saurin de l'académie. Si le Franc de Pompignan avait eu dans notre trouppe l'autorité qu'il y prétendait j'aurais prié qu'on me rayast du tableau comme on a exclus Huern de la matricule des avocats.
Je trouve que notre philosophe Saurin a parlé bien ferme. Il y a même un trait qui semble vous regarder et désigner vos persécuteurs. Cela est d'une âme vigoureuse. Saurin a du courage dans l'amitié; et Omer ne le fait pas trembler; il me revient que cet Omer est fort méprisé de tous les gens qui pensent. Le nombre et petit je l'avoue, mais il sera toujours respectable. C'est ce petit nombre qui fait le public. Le reste est le vulguaire. Travaillez donc pour ce petit public sans vous exposer à la démence du grand nombre.
On n'a point su quel est l'auteur de l'oracle des fidèles; il n'y a point de réponse à ce livre. Je tiens toujours qu'il doit avoir fait un grand effet sur ceux qui l'ont lu avec attention. Il manque à cet ouvrage de l'agrément et de l'éloquence. Ce sont là vos armes, daignez vous en servir. Le Nil, disait on, cachait sa tête, et répandait ses eaux bienfaisantes; faittes en autant. Vous jouirez en paix et en secret de votre triomphe. Hélas vous seriez de notre académie avec monsieur Saurin sans le malheureux conseil qu'on vous donna de demander un privilège. Je ne m'en consolerai jamais. Enfin mon cher philosophe, si vous n'êtes pas mon confrère dans une compagnie qui avait besoin de vous soyez mon confrère dans le petit nombre des élus qui marchent sur le serpent et sur le bazilic. Je vous recommande l'infâme. Adieu, l'amitié est la consolation de ceux qui se trouvent accablez par les sots et par les méchants.