Au retour de la campagne, où j'étois allé ensevelir mon chagrin sur la mort de ma sœur, j'ai apris que ma réputation étoit violemment attaquée par le sieur Voltaire.
Je ne puis en douter par les lettres qu'il a écrites à des académiciens. S'ils me les eussent confiées, j'aurois en justice réglée la voye ouverte pour le forcer à prouver, ou à se rétracter. Il ne me reste de recours que votre seule autorité et les perquisitions.
L'ouvrage que m'impute mon accusateur est imprimé, je n'ay jamais rien mis au jour que de l'aveu de la police ou de la chancellerie. Ayez la bonté, monsieur, de vous faire informer si les imprimeurs frauduleux m'ont jamais connu comme luy.
L'homme qui veut estre à toute force mon ennemy me choisit entre tous les siens pour m'imputer tout ce qui s'écrit contre luy: il a craint que je ne fusse son concurrent à l'Académie, moy dont l'indifférence ou la retenue sur ce vain titre est connue de toute la France.
Il est public que je ne me suis point mis à la traverse, que je n'ay sollicité personne, que je suis hors d'intérest dans ses rivalités et dans ses querelles.
C'est un personnage qui donne pour vrai tout ce qu'il imagine. Le ministre auquel je viens d'écrire le sçait bien.
Comme il est impossible de faire taire toutes les voix que Voltaire élève, je n'ay de ressource, monsieur, que de me justifier à vos yeux. Je vous dois compte de mes mœurs. Je vous les rends avec confiance. Je ne crains pas que mon fougueux ennemi vous prévienne ny que ses protecteurs ne cessent de me persécuter. Il prétexte sa calomnie, de l'envie que me doit causer son talent, et du chagrin qu'il me fait en donnant ses ouvrages lyriques à la cour et à la ville. En vérité, monsieur, ai je perdu à la comparaison et dois je être bien mortifié? Je ne le serois que si vous doutiez de mon innocence et de ma sensibilité à votre estime.
ce 26 avril 1746