1775-08-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, j'ai reçu vôtre consolante Lettre du 11 auguste, ou aoust, comme disent les barbares.
Je vous avoue que je ne comprends guères encor pourquoi Mr De La Reyniere aiant pu m'envoier des imprimés il n'a pu recevoir de moi des imprimés. Il me semble que si ses confrères laissaient passer à la poste ce qu'il envoiait ils auraient pu laisser passer aussi les imprimés à lui adressés. Il me semble encor qu'après les avoir ouverts et les avoir lus on aurait pu ne pas les retenir puisqu'ils contenaient une requête au Roi très sage, très circonspecte, et jugée telle par le petit nombre des hommes d'état qui l'ont reçue. Mais je dois respecter les lumières et les volontés des hommes supérieurs qui auront sans doute jugé que cette requête, quoique très raisonnable et très touchante n'était pas convenable dans le tems présent.

Je ne peux m'imaginer qu'un homme très puissant et qui pense comme vous sur des choses éssentielles ait imaginé à l'âge de soixante et quatorze ans, de mortifier un homme de quatre vint deux. Il me crut autrefois dans la condence de Mr le Mal De Richelieu, et il ne me cacha pas qu'il en était très irrité. J'ignore même encor s'il a été détrompé depuis. J'ignore s'il me conserve de l'aversion, ou de la bonté, ou de L'indifférence. Tout ce que je sais c'est que mes paquets furent arrêtés il y a environ deux mois, et que je dois me taire.

Comme dans ces paquets il y avait une longue Lettre pour M: Le Maréchal de Duras, et que cette Lettre a été perdue, j'en ai écrit une autre, dans laquelle j'ai dû me justifier auprès de M: Le Maréchal de ne lui avoir point répondu sur son discours à L'Académie. Je lui expliquais fort au long que je lui avais répondu sur le champ par Mr de La Reyniere. Je lui parlais des filles de Minée et de la diatribe que j'avais mises dans mon paquet perdu. Cette dernière Lettre lui a été rendue, et voicy les six lignes qu'il me répond, du 5 de ce mois.

Lisez, je vous prie, ces six lignes. Elles ne répondent en aucune manière à ce que je lui mandais. Elles me parlent d'une place pour les spectacles de Fontainebleau dont il n'a jamais été question. Je suis persuadé que c'est encor là une méprise, et que Mr Le Mal De Duras aura mis mon adresse sur un billet qu'il écrivait à un autre.

Cette vie est toute pleine de quiproquo continuels. On est bien embarassé quand il faut tirer les choses au clair à cent lieues.

Je suis dans le même embaras entre le papillon philosophe et M: de Richelieu, et pour éviter ces inconvénients, le papillon daigne se faire une retraitte fixe à Ferney pour y passer six mois de l'année. Sa maison sera très jolie, et fera le plus précieux ornement de la colonie naissante. J'étais déjà bien étonné que mon horrible désert fût devenu quelque chose d'agréable. La résolution de papillon philosophe augmente ma surprise. Je crois que toute cette avanture est tirée des mille et une nuits. Je nage entre les plaisirs et les chagrins, entre les espérances et les craintes. Ma Colonie m'enchante autant qu'elle m'occupe; mais ce qui s'est passé dans une certaine assemblée aux jacobins de Paris me transit d'indignation et de fraieur.

Je vous écris sous l'envelope de Mr De Vaines, et cependant, je n'ose vous dire tout ce que je pense. Que ne puis-je venir souper avec vous dans vôtre palais de Paris, et vous ouvrir un cœur qui sera pénétré pour vous de tendresse et de vénération jusqu'au dernier moment de ma vie!

V.