1775-03-02, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Le baron de Pöllnitz n'est pas le seul octogénaire qui vive ici, et qui se porte bien; il y a le vieux Le Cointe dont peut-être vous vous ressouviendrez, qui a dix ans de plus que Pöllnitz, le bon mylord Marischal approche du même âge, et l'on trouve encore de la gaieté et du sel attique semé dans sa conversation.
Vous avez plus de ce feu élémentaire ou céleste que tous ceux que je viens de nommer; c'est ce feu, que les Grecs appelaient animo, qui fait durer notre frêle machine.

Vos derniers ouvrages, dont je vous remercie encore, ne se ressentent point de la décrépitude; tant que votre esprit conservera cette force et cette gaieté, il ne périclitera point.

Vous me parlez de Dialogues polonais qui me sont inconnus; tout ce qu'il y a d'injures dans ces Dialogues sera des Sarmates; les très fins, des Welches qui les protègent. Je pense sur ces satires comme Epictète: 'Si l'on dit du mal de toi et qu'il soit véritable, corrige toi; si ce sont des mensonges, ris en.' J'ai appris, avec l'âge, à devenir bon cheval de poste; je fais ma station, et ne m'embarrasse pas des roquets qui aboient en chemin. Je me garde encore davantage de faire imprimer mes billevesées; je ne fais des vers que pour m'amuser. Il faut être ou Boileau, ou Racine, ou Voltaire, pour transmettre ses ouvrages à la postérité; et je n'ai pas leurs talents. Ce qu'on a imprimé de mes balivernes n'auraient jamais paru de mon consentement. Dans le temps où c'était la mode de s'acharner sur moi, on m'a volé ces manuscrits, et on les a fait imprimer le moment où ils auraient pu me nuire. Il est permis de se délasser et de s'amuser dans les occupations d'une agréable littérature, mais il ne faut pas accabler le public de ces fadaises.

Ce poème des Confédérés dont vous me parlez, je l'ai fait pour me désennuyer. J'étais alité de la goutte, et c'était une agréable distraction. Mais dans cet ouvrage il est question de bien des personnes qui vivent encore, et je ne dois ni ne veux choquer personne ni plus ni moins. La diète de Pologne tire vers sa fin; on termine actuellement l'affaire des dissidents. L'impératrice de Russie ne vous a point trompé; ils auront pleine satisfaction, et l'impératrice en aura tout l'honneur. Cette princesse trouvera plus de facilité à rendre les Polonais tolérants, que vous et moi à rendre votre parlement juste.

Vous me faites l'énumération des contradictions que vous trouvez dans le caractère de vos compatriotes; je conviens qu'elles y sont. Cependant, pour être équitable, il faut avouer que les mêmes contradictions se rencontrent chez tous les peuples. Chez nos bons Germains, elles ne sont pas si saillantes, parce que leur tempérament est plus flegmatique; mais chez les Français, plus vifs, plus fougueux, ces contradictions sont plus marquées: d'autant plus respectables sont pour eux ces précepteurs du genre humain qui tâchent de tourner ce feu vers la bienveillance, l'humanité, la tolérance et toutes les vertus. Je connais un de ces sages qui, bien loin d'ici, habite, à ce qu'on dit à Ferney; je ne cesse de lui souhaiter mille bénédictions, et toutes les prospérités dont notre espèce est susceptible. Vale.

Federic