1777-07-09, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Ouï, vous verrez cet Empereur,
Qui voyage afin de s'instruire,
Porter son hommage à l'Auteur
De Henri quatre et de Zaïre.
Vôtre génie est un aiman
Qui tel que le Soleil attire
A Soi les Corps du Firmament,
Par Sa force victorieuse
Amène les Esprits à Soi,
Et Therese la Scrupuleuse
Ne peut renverser cette Loi.
Joseph a bien passé par Rome
Sans qu'il fût jamais introduit
Chez le Prêtre que Jurieu nomme
Très-civilement l'Ante-Christ,
Mais à Geneve qu'on renomme,
Joseph plus fortement Séduit,
Révérera le plus grand homme
Que tous les Siècles ont produit.

Cependant les Autrichiens ont jusqu'àprésent encore mal profité des Leçons de tolérance que Vous avez données à l'Europe. Voilà en Moravie dans le Cercle de Prerau, 40 villages qui se déclarent tous à-la-fois Protestants. La Cour pour les ramener au [giron] de l'Eglise a fait marcher des Convertisseurs avec des arguments à poudre et [à] balle qui ont fusillé une douzaine de ces malheureux, attendant qu'on brûlera [les] autres. Ces faits que nous nous communiquons sont par malheur peu consolants pour l'humanité. Je ne sais si je me trompe, mais il me Semble qu'il-y-a un Levain de férocité dans le Coeur de l'homme qui paroit quelquefois, quand on croit l'avoir détruit. Ceux que les Sçiences et les arts ont décrassé, Sont comme ces Ours que des Conducteurs ont appris à danser sur les pattes de derrière; Les ignorans sont comme les Ours qui ne dansent point. Les Autrichiens (j'en excepte l'Empereur) pourroient bien être de cette dernière classe. Il est bien fâcheux, que les François, d'ailleurs si aimables, si polis, ne puissent pas dompter cette fougue barbare qui les porte si souvent à persécuter les innocents. En vérité, plus que l'on éxamine les fables absurdes sur lesquelles toutes les Religions sont fondées, plus on prend en pitié ceux qui se passionnent pour ces balivernes. Voici un Rève que je vous envoye, qui peut-être vous amusera un moment. Vous donner de tels ouvrages d'une imagination tudesque, c'est jetter une goutte d'eau dans la Mer. Je vous remercie du beau projet de politique dont vous me faites l’[ou]verture; ce seroit une chose à éxécuter, si j'avois vingt ans. Le Pape et les Moin[es] finiront sans doute. Leur chûte ne sera pas l'ouvrage de la raison, mais i[ls] périront à mesure que les finances des grands Potentats se dérangeront. En France quand on aura épuisé tous les expédients pour avoir des espèces, on sera forcé de séculariser des Abaïes et des Couvents: cet éxemple sera imité, et le nombre des c[uculati] réduit à peu de chose. En Autriche le même besoin d'argent donnera l'idée d’[avoir] recours à la conquête facile des Etats du St Siège, pour avoir de quoi fo[urnir aux] dépenses extraordinaires. On fera une grosse Pension au Saint Père; mais [qu'arrivera-]t-il? La France, l'Espagne, la Pologne, en un mot, toutes les Puissances cath[oliques] ne voudront pas reconnoitre un Vicaire de Jesus-Christ subordonné à la M[ain] Impériale. Chacun créera un Patriarche chez lui, on assemblera des Conc[iles natio]naux; petit-a-petit, chacun s'écartera de l'unité de l'Eglise, et l'on [finira par] avoir dans son Royaume sa Religion comme sa Langue à part. Comme [je ne fixe] aucune Epoque à cette prophétie, personne ne pourra me reprendre. [Cependant il] est très-probable, qu'avec le tems, les choses prendront le tour que je viens d'indiquer.

Je suis fort sensible aux marques de vôtre souvenir et des vieux tems dont vous rapellez la mémoire. Hélas! que retrouveriés-vous à Sans-Souci, s'il étoit possible que je puisse espérer de vous revoir?

Un Vieillard glacé par les Ans,
Froid, taciturne et phlegmatique,
Dont le propos soporifique
Fait bailler tous les assistans.
Aulieu de mots assez plaisans,
Assaisonnez d'un sel attique
Qu'il débitoit dans son bon tems,
Un radotage politique
Et d'obscure métaphisique
Plus ennuyeux, plus révoltans
Que ne sont les nouveaux romans.
Aulieu d'entrechats des béquilles,
Aulieu de vigueur, des guenilles.
Dieu! quels funestes changements!
Ainsi quand le moëlleux Zéphire
Des airs, cède l'immense Empire
Au fougueux soufle d'Aquilon,
La Nature aux abois, expire.
Le champ qui portoit la moisson
A perdu sa belle parure,
L'Arbre est dépouillé de verdure,
Le Jardin est privé de fleurs.
L'homme ainsi ressent les rigueurs
Du tems qui vient miner son être.
Si jeune, il se nourrit d'erreurs,
Dès qu'il juge et qu'il sait connoitre,
L'âge, les maux et les langueurs
Le font pour toujours disparoítre.

Toutes ces variations sont pour le commun de l'espèce, mais non pour le Divin Voltaire; il est comme Madame Saray, qui faisoit tourner la tête aux Roitelets arabes à l'âge de Cent soixante ans. Son esprit rajeunit aulieu de vieillir, pour lui le tems n'a point d'ailes; mais il est à craindre que la Nature n'ait perdu le moule où elle l'a jetté. On nous conte que Jupiter prolongea la Nuit qu'il coucha avec Alcmene pour se donner le tems de fabriquer Hercule; je suis persuadé que si l'on éxaminoit les Phénomènes de l'Année 1693, pareille merveille s'y trouveroit. Enfin, jouïssez longtems des prodigalités de la Nature. Personne ne s'intéresse plus à Vôtre Conservation que le Solitaire de Sans-Souci. Vale!

Federic

Il faloit Les charmes de L'enchanteur de Fer[ney] pour tirér des vers de ma stérille Cervelle.