Aux Délices, 9 novembre [1756]
Eh bien madame, est il vrai que ces Russes, ces Tartares marchent?
Pourquoi donc les Francs, les Gaulois ne marchent ils pas? Est il vrai que le primat de Pologne a dit à la diète que son roi était empêché, et que la diète s'est séparée sur le champ? Il faut avoir la tête tournée pour vouloir régner sur ces gens là. On bafoue leur roi, on pille sa maison, on le fait prisonnier, on lui donne à manger par une chatière, et les Polonais vont boire chacun chez soi. M. le comte d'Estrées vous a-t-il donné quelques espérances de redresser tant de torts? Mon dieu, que je m'intéresse à cette bagarre! Votre cœur et le mien ont pris parti. Je suis fâché d'être si loin du théâtre où cette grande tragédie se joue. On sèche en attendant des nouvelles. M. de Broglie et m. de Valory reviennent ils? Le roi de Pologne est il en sûreté? a-t-il un lit? est il à Koënisting? est il à Varsovie? le comte de Brull s'est il sauvé? m. de Brown a-t-il livré un nouveau combat? Tâchez donc, madame, d'avoir des nouvelles d'Allemagne. Daignez m'en faire part. Il me paraît que Salomon-Mandrin est le maitre en Saxe comme à Berlin. L'Angleterre fera des efforts pour lui. Le nord de l'Allemagne lui fournira des soldats. Il y aura deux cent mille hommes de part et d'autre. Cette belle affaire n'est pas prête à finir.
Que dites vous de Salomon, qui étant à Dresde, dans le palais du roi de Pologne, se montrait à la fenêtre ayant à ses côtés deux gros ministres luthériens? Le peuple criait, vivat. Ah! le saint roi!
On m'a promis une singulière pièce; mais oserais je vous l'envoyer? On craint son ombre en pareil cas.
Il fait un vent du nord qui me tue. Calfeutrons nous bien, madame; point de vent coulis. Mille tendres respects à vous, madame, et à votre amie.
V.