1775-02-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Cher seigneur et maître, cher Bertrand, il y a longtemps que je n'ai pu vous dire combien je vous aime, combien je vous suis obligé d'avoir écrit en faveur de mon jeune homme.
J'ai été très malade, je le suis encore, et je pourrai bien laisser une place vacante dans l'académie que vous rendez si respectable. On dit que vous avez élogié l'abbé de St pierre; c'est l'expression des gazettes de Berne ma voisine. On dit que le prédicateur est fort au dessus de son saint, et que votre discours est charmant. Vraiment je le crois bien, ma foi vous avez ressucité notre académie, elle était morte sans vous. Voici bientôt, ce me semble, le temps de se passer des docteurs de Sorbonne qui ne sont pas faits pour juger de la prose et des vers.

Croyez vous que ce fût aussi le temps de donner pour sujet des prix non des éloges dans lesquels il y a toujours de la déclamation, de l'exagération, et qui par là ne passeront jamais à la postérité, mais des discours tels que vous en savez faire, des jugements sur les grands hommes à la manière de Plutarque? Rien ne serait, ce me semble, plus instructif; rien ne formerait plus le jugement et le goût de nos jeunes écrivains.

Je vous envoie la seconde édition de don Pèdre que je reçois dans le moment, je vous prie de jeter un coup d'œil sur la note qui est à la fin de la Tactique. Elle ne corrigera personne sur la rage de faire la guerre; mais pourrons nous corriger les monstres qui assassinent gravement l'innocence en temps de paix?

Le pauvre Raton vous embrasse comme il peut avec ses misérables pattes.

V.