1774-09-03, de Henri Louis Lekain à Henri Rieu.

Monsieur,

Les détails que vous avez eu la bonté de me faire parvenir, me font connaître, que ce qui me reste des œuvres de mr de Voltaire se réduit presque à rien, et que le plus sage est de me procurer l'édition complète de Lausanne à moins que vous ne jugiez que la nouvelle que préparent m.m. Cramer ne soit encore préférable; c'est sur quoi je vous prie de m'éclairer et de me guider.
En attendant que cette dernière soit prête, car ce n'est pas l'œuvre d'un jour d'imprimer 56 volumes, je pourrais négocier avec m. Gabriel Regnault pour me procurer ce qui me manque.

Il sera toujours temps de présenter ma requête à mr de Voltaire, lorsque m.m. Cramer seraient au moment de publier leur collection, et pour lors j'accepterai l'offre que vous voulez bien me faire d'être mon avocat général auprès de ce grand homme.

Je sais qu'il a daigné placé ma figure néronienne au chevet de son lit, il y a vraisemblablement trouvé du caractère, et c'est ce qu'il y a de plus méritoire dans cette tête dont la couleur est un peu charbonnée.

Revenons à vous, monsieur, qui m'intéressez encore davantage; permettez moi de vous marquer ma surprise sur le parti que vous avez pris de quitter l'heureux territoire genevois pour habiter les terres de France. Je pense que le voisinage de notre patriarche a pu seul vous faire prendre ce parti, car il est rare de quitter un sol libre où l'on ne voit ni commis, ni fermier pour en choisir un où tous ces inconvénients se rencontrent. Je sais bien que la seule terre de Ferney en est dégagée, mais c'est un privilège momentané, et qui finit, je crois, avec mme Denis. Pardonnez moi, monsieur, ma petite digression mais vous m'avez paru tellement idolâtre de votre liberté que j'ai pensé que rien ne vous engagerait jamais à y renoncer. Pour dieu, conservez la; il est heureux qu'elle existe encore dans quelques petits coins de l'Europe.

Adieu, monsieur; daignez, je vous prie, me rappeler au souvenir de mr de Voltaire, de mme Denis et de notre très aimable résident, ce dernier est un homme d'un rare mérite, et dont la société est douce et intelligente; voilà du moins l'idée réelle qu'il m'a laissée de sa personne.

J'ai l'honneur d'assurer de mes respectueuses civilités mme et melle Rieu; daignez agréer celles de votre très humble et très obéissant serviteur.

Lekain

Il paraît assuré et confirmé que le calomniateur Maupeou est à la Bastille pour lui être fait son procès. Je crois en conscience, qu'on en a expédié de moins coupables.