[27 August 1774]
Votre lettre, mon divin ami, m'est parvenue avant hier 25 et deux heures auparavant on m'avait parlé à l'académie de la lettre d'un théologien.
On m'avait appris son existence parce qu'étant assez heureux pour vivre toujours à la campagne avec de vrais amis, j'ignore les débats honteux des gens de lettres qui perdent leur réputation et qui devraient commencer celle des autres. Je n'avais donc pas lu la lettre en question et je ne l'ai pas lue encore. On m'avait assuré que j'y étais fort maltraité, et de plus on m'avait affirmé que vous en étiez l'auteur. J'ai répondu que très certainement le fait était faux, que depuis quarante ans au moins une amitié invariable était établie entre vous et moi, que jamais le moindre nuage ne l'avait obscurcie un moment, que vous étiez trop honnête pour tirer sur vos troupes et que j'y étais officier déterminé depuis que je savais lire et penser & que vous ne me donneriez pas pour brevet de retraite une satyre avilissante contre moi. Je suis un homme très médiocre dans la république des lettres, mais je suis adorateur des talents sublimes, c'est à dire, le vôtre. Si je ne me suis pas illustré dans le peu d'ouvrages que j'ai eu tort de faire, je crois du moins ne m'y être pas déshonoré. J'ai lu celui de l'abbé Sabbotier et je vous avoue que j'ai été aussi peu flatté des louanges qu'on m'y donne que je suis peu ému de la mortification qu'on tente vainement de me faire essuyer. Je n'ai de ma vie vu l'abbé Sabbotier. Selon toutes les apparences, je ne verrai pas davantage le théologien qui n'est pas mon ami. Je vous jure que je ne veux aucun bien à celui qui m'a loué ni aucun mal à celui qui m'a déprimé. J'ai sur cet article la sensibilité la plus apathique. Mon divin ami, on mérite les injures ou on ne les mérite pas. Si on les mérite il faut les souffrir sans se plaindre, si elles sont exagérées, le temps les détruit, on vous rend plus qu'on n'a voulu vous ôter. Aimez moi toujours, écrivez moi plus souvent, passez votre vie à planer sur l'univers, laissez tomber quelques regards sur moi, un seul suffira pour me nettoyer des éclaboussures du théologien.