16e auguste 1774
J'ai, Monsieur, plus d'un remerciement à vous faire. Je n'ose vous parler d'un portrait, dans lequel je ne dois pas avoir l'impudence de me reconnaître. Mais s'il était vrai que vous eussiez voulu soutenir un pauvre vieillard sur le bord de son tombeau, contre la sainte cabale qui ameute les Sabotiers et les Cléments, jugez quelle obligation vous aurait ce vieux bonhomme, et comme il marcherait gaiement vers sa dernière heure!
C'est d'un plus grand bienfait que je voudrais vous rendre des actions de grâces publiques. Savez vous qu'un Curé de vôtre païs et de mon voisinage, a fait un assez gros livre pour prouver que je suis le plus religieux des hommes, et que j'ai eu bien de la peine à empêcher qu'il ne fût imprimé, tant la bonté extrême de cet honnête Curé aurait fait rire la malignité humaine?
Je vous dois cent fois plus de reconnaissance, et la saine partie de l'académie, et la saine partie du public, en auront autant que moi, pour vôtre très étonnant discours, pour cette vertu courageuse dont vous avez donné le premier éxemple; pour cette raison victorieuse avec laquelle vous avez confondu les ennemis de la raison. Le jour de vôtre réception sera une grande époque. Il y a si peu d'intervale entre l'éloge de Fénelon, condamné par un arrêt du conseil, et vôtre discours (condamné sans doute par le Recteur Cogé) que je suis encor tout stupéfié de vôtre intrépidité. Il est vrai qu'elle est accompagnée d'une grande sagesse. Vous vous êtes couvert de L'Egide de Minerve en frapant à droite et à gauche avec l'épée de Mars.
Je dois me taire sur ceux qui ont eu le malheur de retarder le jour de votre réception. J'en ai gémi pour eux. Je me flatte qu'ils verront combien ils avaient été trompés. Vous ne vous êtes vengé qu'en les éclairant. Il faudra bien qu'ils pensent enfin comme le public.
Voilà, Dieu merci, une nouvelle carrière ouverte. Il faut jetter dans le feu prèsque tous les discours précédents qui n'ont été que de fades éloges en frases académiques. Je vois enfin les véritables fruits de la philosophie, et je commence à croire que je mourrai content. J'ai craint pendant quelque temps qu'on ne rendit quelque arrêt pour suprimer le nom de philosophe dans la langue française. Suprimez le nom d'hipocrite dans l'académie; ou dumoins que ceux qui le sont encor en rougissent, et qu'ils prennent les livrées de la raison pour oser paraître devant les honnêtes gens.
Je vais relire vôtre discours pour la quatrième fois. Si mes quatre vingts ans et mes maladies me permettaient de me remuer, je viendrais vous embrasser, vous et vos amis.
Mr Gresset vous conseille dans sa réponse de nous dire comment la langue suit les mœurs dans leurs révolutions. Moi, je vous conseillerais de traduire une partie des lettres du feu Comte de Chesterfield à son fils; vous y trouveriez bien des choses qui méritent d'être connues en France, et quelques traits qui pouraient servir à vôtre cause. J'ai lu l'éxcellente Lettre d'un théologien à un coquin d'aprentif prêtre, athée indigne, et prêtre très digne. C'est dommage d'avoir emploié tant d'esprit, et tant de bonnes plaisanteries contre un tel polisson. J'ai reconnu l'auteur. On voit assez que c'est un géomêtre, c'est Pascal second du nom. Mais ce second est bien supérieur au premier, qui n'écrasait que les jésuites, et qui ne servit que Port-Roial. Celui cy sert le genre humain. Il y aurait plaisir à mourir entre vous et lui….
Adieu, Monsieur, point de formule gotique de très etca…. Je suis trop vôtre très redevable etca, etca.
V.