1773-05-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Trophime Gérard de Lally-Tolendal.

Vous avés, Monsieur, du courage dans l’esprit, comme dans le cœur; & une chose à laquelle vous ne faites pas peutêtre attention, c’est que votre mémoire est de l’éloquence la plus forte & la plus touchante.

On m’a mandé que le Roi vous avait accordé une grande grâce il y a quelques mois. Vous ne pouviés mieux lui en marquer votre reconnaissance, qu’en manifestant l’injustice des Juges qui ont trempé dans le sang de votre oncle leurs mains teintes du sang du Chevalier De la Barre. Ces tuteurs des Rois étaient les ennemis du Roi: vous le servés en demandant justice contre eux.

Je pense que c’est un devoir indispensable à Monsieur de St Prie de se joindre à vous. Je ne sais pas comment il est votre parent ou votre allié, je ne sais pas même ce que vous est Madame la comtesse De la Heuse, si elle est votre Tante ou votre sœur. Je vous prie de vouloir bien mettre au fait, un solitaire si ignorant, en cas que vous lui fassiés l’honneur de lui écrire.

J’ai peur que l’homme puissant, à qui vous vous êtes adressé, ne vous ait donné des paroles, et non pas une parole: mais il ne vous empêchera pas de tenter toutes les voyes de venger la mort & la mémoire de votre Oncle.

Je présume que Madame Du Barri vous protégerait dans une entreprise si juste & si décente. J’ose croire encor que M. le Maréchal de Richelieu, que j’ai vu l’ami de M. De Lalli ne vous abandonnerait pas.

Enfin on peut faire un mémoire au nom de la famille. Il me semble qu’il faudrait que ce mémoire fût signé d’un Avocat au Conseil. La requête la plus juste n’aura aucun succès, si elle n’est pas dans la forme légale, & ne sera regardée tout au plus que comme une plainte inutile.

J’ajoute & avec chagrin qu’il faudra se résoudre à épargner autant qu’on le pourra les ennemis qui ont déposé contre leur Général. Ils sont en grand nombre, & on doit songer, ce me semble, plustôt à justifier le condamné qu’à s’emporter contre les accusateurs: sa mémoire réhabilitée les couvrira d’opprobre.

Il me paraît que vous avés un juste sujet de présenter requête-en-révision, si vous prouvés que plusieurs Pièces importantes n’ont point été lues. Il n’y a point en ce cas d’Avocat au Conseil qui refuse de signer votre mémoire. Alors vous aurés la consolation d’entendre la voix du Public se joindre à la vôtre, & ce cri général éveillera la justice.

Je suis plus malade encor que je ne suis vieux, mais mon âge & mes souffrances ne peuvent diminuer l’intérêt que je prends à cette cruelle affaire, & les sentiments que vous m’inspirés.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, bien sincèrement v. t. h. ob. str

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