6e avril 1773
Il s'en faut bien, mon cher ange, que je sois guéri.
Les apparences sont que j'irai bientôt trouver votre ami mr de Croismare qui était mon cadet.
Permettez moi de vous citer un vers de ces pauvres Loix de Minos,
Mais à mesure qu'on est privé de ses anciens amis on s'attache plus à ceux qui nous restent, et c'est ce que j'attends de votre cœur sensible. C'est moi qui ai plus que jamais besoin de consolation. La petite cabale qui me persécute fait débiter dans Paris deux volumes d'horreurs affreuses qu'elle m'attribue, et qu'on a imprimées à la suite du dépositaire et des Pélopides, afin de faire passer la calomnie à la faveur de la vérité. On a inséré dans ce recueil infâme le Catéchumène qui est comme on le sait, d'un académicien de Lyon.
Outre ces infamies scandaleuses et punissables, on a inséré dans ce recueil je ne sais quel écrit fait contre les anciens parlements, et jusqu'à des pièces relatives à l'attentat commis contre le roi de Pologne imprimées à Varsovie, et dans lesquelles il y a beaucoup de termes que je n'entends point.
Enfin, il est bien démontré aux yeux de tout homme impartial, et de tout esprit raisonnable, que non seulement je n'ai pas plus de part à cette édition qu'à celle de Valade, mais qu'elle a été faite uniquement dans l'intention de me perdre, et de plonger dans le désespoir les derniers moments de ma vie. Voilà tout ce que les belles lettres m'ont produit. Une statue ne console pas lorsque tant d'ennemis conspirent à la couvrir de fange. Cette statue n'a servi qu'à irriter la canaille de la littérature. Cette canaille aboie, elle excite les dévots, ces dévots cabalent, et les honnêtes gens sont très indifférents.
Je ne sais comment faire pour vous faire parvenir un autre recueil plus honnête à la suite des Loix de Minos. Je crains pour les recueils. On me dira, Si vous avez fait celui-ci vous pouvez bien avoir fait l'autre dont vous vous plaignez. Heureux qui vit et qui meurt inconnu! qui bene latuit, bene vixit. Je n'ai pas eu ce bonheur.
Je n'ai point de nouvelles de mr le mal de Richelieu. Je lui ai pourtant dédié cette véritable édition des Loix de Minos. Elle réussit beaucoup chez l'étranger. Je ne suis toléré dans ma patrie qu'à la longue; mais entre les Alpes et le mont Jura a t-on une patrie? Un ami tel que vous en tient lieu.
Adieu, non seulement je vous souhaite une vieillesse plus heureuse que la mienne, mais je suis sûr que vous l'aurez. J'en dis autant à mad. d'Argental.
V.